Répondre à : ARISTOTE – Anthologie (Extraits)

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Augustin BrunaultAugustin Brunault
Maître des clés

    Éthique à Nicomaque, III, 5 : Analyse de la délibération.
    Traduction : Sœur Pascale Nau.

    Est-ce qu’on délibère sur toutes choses autrement dit est-ce que toute chose est objet de délibération, ou bien y a-t-il certaines choses dont il n’y a pas délibération ? Nous devons sans doute appeler un objet de délibération non pas ce sur quoi délibérerait un imbécile, ou un fou, mais ce sur quoi peut délibérer un homme sain d’esprit. Or, sur les entités éternelles, il n’y a jamais de délibération : par exemple, l’ordre du Monde ou l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré. Il n’y a pas davantage de délibération sur les choses qui sont en mouvement mais se produisent toujours de la même façon soit par nécessité, soit par nature, soit par quelque autre cause : tels sont, par exemple, les solstices et le lever des astres. Il n’existe pas non plus de délibération sur les choses qui arrivent tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, par exemple les sécheresses et les pluies, ni sur les choses qui arrivent par fortune, par exemple la découverte d’un trésor Bien plus : la délibération ne porte même pas sur toutes les affaires humaines sans exception : ainsi, aucun Lacédémonien ne délibère sur la meilleure forme de gouvernement pour les Scythes. C’est qu’en effet, rien de tout ce que nous venons d’énumérer ne pourrait être produit par nous. Mais nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous et que nous pouvons réaliser et ces choses-là sont, en fait, tout ce qui reste car on met communément au rang des causes, nature, nécessité et fortune, et on y ajoute l’intellect et toute action dépendant de l’homme. Et chaque classe d’hommes délibère sur les choses qu’ils peuvent réaliser par eux-mêmes.

    Dans le domaine des sciences, celles qui sont précises et [1112b] pleinement constituées ne laissent pas place à la délibération : par exemple, en ce qui concerne les lettres de l’alphabet (car nous n’avons aucune incertitude sur la façon de les écrire). Par contre, tout ce qui arrive par nous et dont le résultat n’est pas toujours le même, voilà ce qui fait l’objet de nos délibérations : par exemple, les questions de médecine ou d’affaires d’argent. Et nous délibérons davantage sur la navigation que sur la gymnastique, vu que la navigation a été étudiée d’une façon moins approfondie, et ainsi de suite pour le reste. De même nous délibérons davantage sur les arts que sur les sciences, car nous sommes à leur sujet dans une plus grande incertitude. La délibération a lieu dans les choses qui, tout en se produisant avec fréquence demeurent incertaines dans leur aboutissement, ainsi que là où l’issue est indéterminée. Et nous nous faisons assister d’autres personnes pour délibérer sur les questions importantes, nous défiant de notre propre insuffisance à discerner ce qu’il faut faire.

    Nous délibérons non pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les moyens d’atteindre les fins. Un médecin ne se demande pas s’il doit guérir son malade, ni un orateur s’il entraînera la persuasion, ni un politique s’il établira de bonnes lois, et dans les autres domaines on ne délibère jamais non plus sur la fin à atteindre.

    Mais, une fois qu’on a posé la fin, on examine comment et par quels moyens elle se réalisera ; et s’il apparaît qu’elle peut être produite par plusieurs moyens, on cherche lequel entraînera la réalisation la plus facile et la meilleure. Si au contraire la fin ne s’accomplit que par un seul moyen, on considère comment par ce moyen elle sera réalisée, et ce moyen à son tour par quel moyen il peut l’être lui-même, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause immédiate laquelle, dans l’ordre de la découverte, est dernière. En effet, quand on délibère on semble procéder, dans la recherche et l’analyse dont nous venons de décrire la marche, comme dans la construction d’une figure (s’il est manifeste que toute recherche n’est pas une délibération, par exemple l’investigation en mathématiques, par contre toute délibération est une recherche), et ce qui vient dernier dans l’analyse est premier dans l’ordre de la génération. Si on se heurte à une impossibilité, on abandonne la recherche, par exemple s’il nous faut de l’argent et qu’on ne puisse pas s’en procurer ; si au contraire une chose apparaît possible, on essaie d’agir.

    Sont possibles les choses qui peuvent être réalisées par nous, et cela au sens large car celles qui se réalisent par nos amis sont en un sens réalisées par nous, puisque le principe de leur action est en nous.

    L’objet de nos recherches c’est tantôt l’instrument lui-même, tantôt son utilisation. Il en est de même dans les autres domaines : c’est tantôt l’instrument, tantôt la façon de s’en servir, autrement dit par quel moyen.

    Il apparaît ainsi, comme nous l’avons dit, que l’homme est principe de ses actions et que la délibération porte sur les choses qui sont réalisables par l’agent lui-même ; et nos actions tendent à d’autres fins qu’elles-mêmes. En effet, la fin ne saurait être un objet de délibération, mais seulement les moyens en vue de la fin. Mais il faut exclure aussi les choses particulières par exemple si ceci est du pain, [1113a] ou si ce pain a été cuit comme il faut, car ce sont là matières à sensation. − Et si on devait toujours délibérer, on irait à l’infini.

    L’objet de la délibération et l’objet du choix sont identiques, sous cette réserve que lorsqu’une chose est choisie elle a déjà été déterminée puisque c’est la chose jugée préférable à la suite de la délibération qui est choisie. En effet, chacun cesse de rechercher comment il agira quand il a ramené à lui-même le principe de son acte, et à la partie directrice de lui-même car c’est cette partie qui choisit. Ce que nous disons là s’éclaire encore à la lumière des antiques constitutions qu’Homère nous a dépeintes les rois annonçaient à leur peuple le parti qu’ils avaient adopté.

    L’objet du choix étant, parmi les choses en notre pouvoir, un objet de désir sur lequel on a délibéré, le choix sera un désir délibératif des choses qui dépendent de nous car une fois que nous avons décidé à la suite d’une délibération, nous désirons alors conformément à notre délibération.

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