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#145930
VictoriaVictoria
Participant

    La Voyageuse

    I


    Au temps des pastels de Latour,
    Quand l’enfant-dieu régnait au monde
    Par la grâce de Pompadour,
    Au temps des beautés sans seconde ;

    Au temps féerique où, sans mouchoir,
    Sur les lys que Lancret dessine
    Le collier de taffetas noir
    Lutte avec la mouche assassine ;

    Au temps où la Nymphe du vin
    Sourit sous la peau de panthère,
    Au temps où Wateau le divin
    Frète sa barque pour Cythère ;

    En ce temps fait pour les jupons,
    Les plumes, les rubans, les ganses,
    Les falbalas et les pompons ;
    En ce beau temps des élégances,

    Enfant blanche comme le lait,
    Beauté mignarde, fleur exquise,
    Vous aviez tout ce qu’il fallait
    Pour être danseuse ou marquise.

    Ces bras purs et ce petit corps,
    Noyés dans un frou-frou d’étoffes,
    Eussent damné par leurs accords
    Les abbés et les philosophes.

    Vous eussiez aimé ces bichons
    Noirs et feu, de race irlandaise,
    Que l’on porte dans les manchons
    Et que l’on peigne et que l’on baise.

    La neige au sein, la rose aux doigts,
    Boucher vous eût peinte en Diane
    Montrant sa cuisse au fond du bois
    Et pliant comme une liane,

    Et Clodion eût fait de vous
    Une provocante faunesse
    Laissant mûrir au soleil roux
    Les fruits pourprés de sa jeunesse !

    Car sur les lèvres vous avez
    La malicieuse ambroisie
    De tous ces paradis rêvés
    Au siècle de la fantaisie,

    Et, nonchalante Dalila,
    Vous plaisez par la morbidesse
    D’une nymphe de ce temps-là,
    Moitié nonne et moitié déesse.

    Vos cheveux aux bandeaux ondés
    Récitent de leur onde noire
    Des madrigaux dévergondés
    A votre visage d’ivoire,

    Et, ravis de ce front si beau,
    Comme de vertes demoiselles,
    Tous les enfants porte-flambeau
    Vous suivent en battant des ailes.

    Tous ces petits culs-nus d’Amours,
    Groupés sur vos pas, Caroline,
    Ont soin d’embellir vos atours
    Et d’enfler votre crinoline,

    Et l’essaim des Jeux et des Ris,
    Doux vol qui folâtre et se joue,
    Niche sous la poudre de riz
    Dans les roses de votre joue.

    Vos sourcils touffus, noirs, épais,
    Ont des courbes délicieuses
    Qui nous font songer à la paix
    Sous les forêts silencieuses,

    Et les écharpes de vos cils
    Semblent avoir volé leurs franges
    A la terre des alguazils,
    Des manolas et des oranges.

    II

    Au fait, vous avez donc été,
    Loin de nos boulevards moroses,
    Pendant tout ce dernier été,
    Sous les buissons de lauriers-roses ?

    Le fier soleil du Portugal
    Vous tendait sa lèvre obstinée
    Et faisait son meilleur régal
    Avec votre peau satinée.

    Mais vous, tordant sur l’éventail
    Vos petits doigts aux blancheurs mates
    Vous découpiez Scribe en détail
    Pour les rois et les diplomates ;

    Et, digne d’un art sans rivaux,
    Pour charmer les chancelleries,
    Vous avez traduit Marivaux
    En mignonnes espiègleries.

    C’est au mieux! L’astre des cieux clairs
    Qui fait grandir le sycomore
    Vous a donné des jolis airs
    De Bohémienne et de More.

    Vous avez pris, toujours riant,
    Dans cet éternel jeu de barres,
    La volupté de l’Orient
    Et le goût des bijoux barbares,

    Et vous rapportez à Paris,
    Ville de toutes les décences,
    Les molles grâces des houris
    Ivres de parfums et d’essences.

    C’est bien encor! même à Turin
    Menez Clairville, puisqu’on daigne
    Nous demander un tambourin
    La-bàs, chez le roi de Sardaigne.

    Mais pourtant ne nous laissez pas
    Nous consumer dans les attentes !
    Arrêtez une fois vos pas
    Chez nous, et plantez-y vos tentes.

    Tout franc, pourquoi mettre aux abois
    Cet Éden, où le lion dîne
    Chaque jour de la biche au bois
    Et soupe de la musardine ?

    Valets de coeur et de carreau
    Et boyards aux fourrures d’ourses,
    Loin de vous, sachez-le, Caro,
    Tout s’ennuie, au bal comme aux courses.

    Vous nous disputez les rayons
    Avec des haines enfantines,
    Et jamais plus nous ne voyons
    Que les talons de vos bottines.

    Songez-y! Vous cherchez pourquoi
    Ma muse, qui n’est pas méchante,
    M’ordonne de me tenir coi
    Et ne veut plus que je vous chante ?

    C’est que vos regards inhumains
    Ont partout des intelligences,
    Et tout le long des grands chemins
    Vont arrêter les diligences.

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