Accueil › Forums › Textes › ROUSSEAU, Jean-Jacques – Émile ou de l’éducation, Livre 1 (Extraits) › Répondre à : ROUSSEAU, Jean-Jacques – Émile ou de l’éducation, Livre 1 (Extraits)
EXTRAIT 5 – La Mort est notre consolation.
Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L’homme seul en a de superflues. N’est-il pas bien étrange que ce superflu soit l’instrument de sa misère ? Dans tout pays les bras d’un homme valent plus que sa subsistance. S’il était assez sage pour compter ce surplus pour rien, il aurait toujours le nécessaire, parce qu’il n’aurait jamais rien de trop. Les grands besoins, disait Favorin, naissent des grands biens ; et souvent le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque est de s’ôter celles qu’on a. C’est à force de nous travailler pour augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère. Tout homme qui ne voudrait que vivre, vivrait heureux ; par conséquent il vivrait bon ; car où serait pour lui l’avantage d’être méchant ?
Si nous étions immortels, nous serions des êtres très misérables. Il est dur de mourir, sans doute ; mais il est doux d’espérer qu’on ne vivra pas toujours, et qu’une meilleure vie finira les peines de celle-ci. Si l’on nous offrait l’immortalité sur la terre, qui est-ce qui voudrait accepter ce triste présent ? Quelle ressource, quel espoir, quelle consolation nous resterait-il contre les rigueurs du sort et contre les injustices des hommes ? L’ignorant, qui ne prévoit rien, sent peu le prix de la vie, et craint peu de la perdre ; l’homme éclairé voit des biens d’un plus grand prix, qu’il préfère à celui-là. Il n’y a que le demi-savoir et la fausse sagesse qui, prolongeant nos vues jusqu’à la mort, et pas au delà, en font pour nous le pire des maux. La nécessité de mourir n’est à l’homme sage qu’une raison pour supporter les peines de la vie. Si l’on n’était pas sûr de la perdre une fois, elle coûterait trop à conserver.