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Augustin BrunaultAugustin Brunault
Maître des clés

    STEINMANN, Philippe – Conte pour un Noël insolite




    Le jour de Noël de l’an 6 600 et des poussières, après les grandes catastrophes, une surprise incroyable tomba au pied du sapin dans le salon où réveillonnait la famille Sibogue constituée de deux parents et six autres Sibogue: un virus.
    Les Sibogue, mi-hommes et mi-robots ne surent d’abord que faire de ce cadeau inattendu. Ils le mirent à l’écart, dans un placard, le temps de réfléchir à son utilisation future si besoin était. La maison débordant d’électronique, ils voyaient ce virus comme une menace qui allait semer le désordre chez eux en déréglant machines et appareils, ou pire encore: leurs propres programmateurs!

    A cette époque, alors que tout semblait retrouver un cours normal, que les inondations avaient cessé, que la nouvelle civilisation semblait naître enfin en paix avec la terre, personne n’avait envie de briser un équilibre encore fragile.
    En effet, La science était un souvenir antédiluvien, même ce qui restait des ordinateurs avait énormément vieilli: on n’en trouvait plus que dans des greniers sous des centimètres de poussière sinon de crasse et quand, parfois, au détour d’une conversation de personnes, non plus âgées mais pluricentenaires, surgissait le simple mot de “virus”, tout le microcosme éclatait de rire: “Ah! cette vieille amie, elle a dit “virus”! Comme ça fait virus! Ah la la, on croit rêver…”
    Et qui maintenant aurait pu penser à se méfier?

    Or, un matin, alors que les Sibogue étaient sur le départ, les uns pour le travail, les autres pour l’école, le dernier des Sibogue, ne trouvant plus ses bottes, ouvrit le placard puis par mégarde une boîte de laquelle sortit brusquement le virus. Dans l’entrée, la mère trépignait: “Dépêche-toi, nous allons être en retard!”
    Ceci se passait bien après ledit Noël et dans cette boîte où il avait eu le temps de vieillir un peu (lui aussi!), notre virus qui, de ce fait, voulait le plus grand mal à ces Sibogue sans éducation ni respect, avait pris une résolution redoutable: il avait décidé de les rendre fous!
    Il sauta sur les lèvres du petit Sibogue qui en éternua douze fois de suite et en resta tout hébété. Sa mère, au comble de l’impatience, arriva mais fut prise elle aussi de ces éternuements frénétiques qui ne firent qu’accentuer sa colère car le petit Sibogue n’avait toujours pas mis le pied dans ses bottes introuvables et il dut se résoudre à partir en pantoufles. Il suivait sa mère avec des yeux déjà rouges de fièvre car, on s’en doute, une fois dans le petit corps, le virus s’était mis à l’ouvrage et dévorait tout ce qui passait à sa portée, même les dièses et les bémols. Il naviguait entre les circuits intégrés pour les désintégrer, mordant par-ci, griffant par-là…
    – Maman! cria le minibogue, je sens que s’en vont tous mes octets! Déjà que mon fichier personnel était passé du disque dur de ma soeur à celui de mon frère aîné… Aïe! et même pendant que je parle, mes ROM sont sur le point de céder, moi qui voulais les dévéder depuis longtemps! Maman… au secours!

    Pendant ce temps, la mère Sibogue continuait ses éternuements, répandant alentour une quantité de virus plus agressifs et enclins les uns que les autres à contaminer le reste de la famille, inévitablement.
    – Du calme, mon garçon, réussit-elle à articuler. C’est la première fois que tes circuits ont l’air de tant chauffer. Rentrons. Nous allons défragmenter.
    Et l’on défragmenta sans trouver quelque virus de plus ou de moins car les nouveaux ordinateurs ne connaissaient plus les logiciels antivirus qu’on n’utilisait plus depuis des centaines d’années si bien qu’en quelques jours des milliards de virus ne comprirent plus rien à ce qui leur arrivait étant donné que le plus grand plaisir d’un virus consiste à défier des ordinateurs sans défense, mais non pas à croître ni encore moins à se multiplier, comme il est dit dans un vieux livre mité.
    Nos virus se sentaient de plus en plus à l’étroit, désoeuvrés, désolés de ne repérer aucune occupation à leur niveau. Ils se mirent à ne plus se supporter entre eux et en arrivèrent à s’entretuer au point qu’il n’en resta plus qu’un: celui de Noël qui sentit ne plus pouvoir rester chez ses hôtes.

    C’est alors que les Sibogue, alités jusqu’alors, s’en trouvèrent mieux, purent se lever, reprendre leur vie quotidienne, sortir enfin! Notre virus n’attendait que cette occasion pour quitter cette famille si peu accueillante. Il profita d’un éternuement dû au hasard et d’une larme négligeable pour s’échapper. Une fois dans l’air, le virus de Noël se trouva nez à nez avec sa propre mère qui le cherchait depuis plusieurs mois…
    – Où étais-tu, gamin, depuis le temps que je te cherche?
    – Ben… voilà… je…
    – A la maison, allez ouste! Tu auras de la chance si je n’en parle pas à ton père!

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