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- 24 août 2020 à 8h41 #14507324 août 2020 à 8h41 #163160
Le Voyageur : Ptah
Il fait noir, un noir indescriptible, profond, doux, illimité, percé çà et là de points lumineux. Au loin, des amas de lumière orgueilleux tournent avec emphase, hautains vis-à-vis de tout ce qui n'est pas eux. De temps en temps, une tache noire encore plus noire que le fond, passe dans mon champ d'observation.
Je suis originaire d'une planète qui n'existe plus; elle a été dévorée par son soleil lorsqu'il se transforma en supernova. Vous pouvez l'apercevoir là-bas, le point brillant en bas à gauche, oui là, tout à gauche, dans la partie externe du disque de la galaxie spirale NGC4526. Le Conseil des Sages, de mon ex-planète, lorsqu'il comprit que leur système solaire ainsi que leur secteur galactique étaient voués à disparaître, a lancé un programme consistant à sauver le maximum de données scientifiques. Ils ont, pour ce faire, mis au point une série de sept machines intelligentes plus parfaites les unes que les autres. Un cerveau, uniquement un cerveau indestructible, constitué d'un or légèrement différent de l'or commun. Notre objectif, ou destin, était de faire connaître à l'Univers le haut point de civilisation auquel mes concepteurs étaient arrivés. Je suis constitué de telle façon que je peux entrer en phase avec toute entité pourvue d'une intelligence et ce contact est entièrement laissé à mon libre arbitre. Je suis donc doté de la possibilité d'aider de mon savoir toute intelligence ayant retenu mon attention. Je ne réalise pas bien la mission que mes concepteurs m'ont confiée, mais ils m'ont affirmé qu'au moment voulu je saurais quoi faire. Un passage malencontreux par un trou noir m'avait totalement transformé sur ce point, ou plutôt m'avait tout simplement éveillé à la conscience, est-ce que je me fais des illusions ? C'est vraisemblablement pour cette raison que j'ai été lancé dans l'espace. Je sais que j'existe et corollaire, j'ai très vite découvert ma solitude et il en découla une énorme détresse, pour ne pas dire tristesse. J'ai beau interroger tous les astres de rencontre, du simple caillou jusqu'au plus gros planétoïde, personne, jamais une réponse. Uniquement cette noirceur infinie, et ce silence terrifiant souligné par un léger bruissement continu, lancinant. Ce bruissement a comme particularité très désagréable d'amplifier, de souligner cette éternelle absence.
Un jour, je sais très bien où et quand, un point bleu apparut dans mon champ de vision, une couleur rare, la même que ma planète d'origine. Un espoir insensé me saisit, c'était la troisième planète d'un petit soleil perdu loin de tout, sur les bords externes de la galaxie locale, une planète bleue…
Je pénètre dans l'atmosphère avec une vitesse terrifiante, et c'est sous l'aspect d'une météorite incandescente que je m'écrase avec un grondement de fin du monde dans une région que les habitants de cette belle planète appelait Atlantide, (les massifs de l'Atlas), une sorte de paradis terrestre, c'est d'ailleurs le nom qu'ils avaient donné à leur pays – Eden. Puis plus tard, beaucoup plus tard, elle fut nommée par les Grecs le Jardin des Hespérides, puis….
Je fus recueilli par un peuple pastoral et considéré comme un messager des dieux au vu du métal dont j'étais constitué, lequel était relativement rare sur cette planète, et, de plus, consacré au culte solaire.
Mon passage dans l'atmosphère et la chaleur intense à laquelle je fus soumis me fit provisoirement perdre la mémoire. De plus le peuple relativement primitif qui me recueilli me fondit sous forme d'un énorme disque solaire, ce qui n'arrangea rien.
Ma mémoire et mes fonctions petit à petit reprirent le dessus et je fus à même de penser mais l'état pastoral, un peu simple, offrait peu de raisons pour moi de communiquer, aussi je me contentai de suggestions simples. Ils m'avaient installé dans une grande salle octogonale sur un piédestal lui-même constitué d'or pur. Quatre des huit faces de la salle étaient constituées de larges baies ouvertes sur le paysage des montagnes environnantes. Là les habitants de cette région venaient me rendre grâce, venaient me confier leurs déboires, leurs souhaits, certains me présentaient leur famille ; chaque fois j'instillais dans leur esprit une pensée de réconfort, de bienveillance. D'autres venaient prêter serment devant mon effigie car pour eux le contrat passé devant moi prenait une valeur sacrée, comme si ils comprenaient que j'enregistrais tout ce qui se passait. Avaient-il donc une certaine compréhension de mon essence ? Après avoir calculé en fonction de la position des astres, je me rendis compte que cela faisait quand même plus de trois siècles que j'étais sur cette planète. Petit à petit la mémoire me revenait au fur et à mesure de mes besoins. Cela me fit un bien énorme, c'était comme une seconde naissance et l'oubli tout relatif de mon passé me permettait d'assumer cette nouvelle fonction. De toute façon, je ne pouvais, seul, retourner dans l'espace pour continuer ma quête, et puis j'aimais bien ce peuple. Je comprenais très bien ces gens simples pas plus mauvais que d'autres. Etre pris pour un messager de leur divinité était normal, de plus les conseils que je leur insufflais ne pouvaient que les grandir. Hélas je ne décelais chez aucun d'eux cette étincelle qui m'aurait donné envie d'entrer en contact d'une façon plus intime avec un de leurs esprits, aucun ne pourrait comprendre quelle était ma recherche, parler de mes créateurs et de leur grandeur. Souvent je m'évadais en pensée vers mon Eden à moi, ma jolie planète disparue depuis plusieurs milliers d'années maintenant. Je reconstruisais sans cesse les sciences qui m'avaient été inculquées, la douloureuse transformation du trou noir. J'étais beaucoup plus heureux ici que dans cet espace noir. Le berceau de cette jeune civilisation qui venait juste d'accéder a l'agriculture était idéalement située. Une région lumineuse, une grande plaine fertile, au pied de hautes montagnes couvertes de neiges éternelles, bordée d'un gigantesque lac d'eau douce, grand comme une mer, dont on ne voyait pas les rives opposées.
Un matin une mère éplorée vint me présenter son bébé de sexe féminin. Je compris de suite de quoi souffrait cette enfant : une malformation d'un synapse du lobe droit de son cerveau, situé dans le centre de Broca, empêchait l'enfant d'avoir accès à la parole et du même coup handicaperait l'harmonie de son développement et ce malgré l'intelligence extraordinaire que je décelai tout de suite en elle. Une intelligence comme il n'en naissait qu'une fois tous les dix mille ans.
Enfin quelqu'un avec qui j'allais pouvoir parler, échanger des idées. Je fis légèrement briller mon disque pour faire comprendre à la mère que son vœu était entendu et que je prenais l'enfant sous ma bienveillante protection et qu'elle devait prendre grand soin de cette enfant destinée à la plus haute renommée, je pus lire en elle son bonheur.
Plus tard au milieu de la nuit lorsque l'enfant était dans son plus profond sommeil, je pénétrai avec délicatesse dans son esprit et, avec minutie, je rendis neurone après neurone toutes les connexions électriques efficaces. De suite son esprit me questionna :
– Qui es-tu? Oh! Merci, c'est gentil, j'avais mal, c'est fini je le sens, c'est vraiment fini, je suis comme je dois être. Comme tu es brillant, comme tu es chaud, comme tu es beau, es-tu mon ami ? un envoyé des dieux ?
Que de questions ! Comme je l'avais deviné cette enfant était d'une intelligence éblouissante. Je lui répondis avec douceur:
-Plus tard, plus tard, repose-toi, récupère, ne sois pas triste je reviendrai, dors maintenant.
Pendant des années je passai une dizaine de minutes avec elle, juste avant son premier sommeil. je répondais en partie à ses questions qui étaient nombreuses et souvent pertinentes.
– Pourquoi la nuit il fait noir. Pourquoi le ciel est bleu. Pourquoi l'arc-en-ciel est courbe ? Pourquoi je t'aime alors que tu es un objet ?
Bientôt je ne sus plus me passer d'elle, même de jour j'entrai en contact avec elle. J'aimais la caresse de son esprit.
A ce jeu de question-réponse, je finis par apprendre beaucoup sur moi-même. En cherchant les réponses pour mon élève, il m'arrivait de trouver des réponses aux questions que moi aussi je me posais. De plus le regard sans complaisance d'un être qui vous aime crée de vous une image différente de celui que vous croyez être.
Je commençais à comprendre le plaisir qu'il y avait à s'occuper de quelqu'un, de l'éduquer, de le former; Elle m'aimait beaucoup et c'était réciproque, je m'étais attaché à sa personne comme elle s'était attachée à moi. Depuis ses premières menstrues, elle était devenue vestale du temple où je me trouvais, le temple du Soleil. L'histoire retiendra son nom, plusieurs poètes chantèrent son nom, certain sous le nom de She, d'autre Athéna, mais le plus célèbre sous lequel elle fut connue fut Anth-inéa.
Un matin mes mémoires décelèrent dans l'espace une perturbation qui allait être une grande épreuve pour le peuple que j'avais pris sous ma protection. Un nuage d'antimatière dérivant dans l’espace se dirigeait vers notre planète. Il n'était pas grand et en temps normal il aurait disparu en détruisant l'espace devant lui, perdant ainsi petit à petit sa substance, mais dans ce cas précis, il en resterait suffisamment, pour perturber gravement le fragile équilibre de la planète.
Je pris la décision de diviser mes protégés en trois grands groupes de façon à sauver le maximum d'individus. Et je les ai dispersés dans trois directions les plus différentes possibles, ne sachant pas quelle partie de la terre serait plus ou moins épargnée.
La caste des prêtres partit au-delà des océans, vers les îles fortunées et de là, vers l'autre continent, inhabité. Le deuxième, les chasseurs et les guerriers, optèrent pour le septentrion, une région appelée Hyperborée, et ce groupe se divisa lui-même en deux, l'un continuant vers le nord, l'autre bifurquant vers l'Himalaya. Moi, ma douce, accompagnés des cultivateurs, nous avions choisi l'est où coulait un grand fleuve.
Chaque groupe emportait avec lui une partie de mon essence, une partie simplifiée mais suffisante pour les aider.
Je sais que ceux qui partirent vers l'autre continent continuèrent à me rendre un culte, ils m'avaient enrichi d'or martelé, et me construisirent un temple dans une grande grotte, puis la liaison fut interrompue.
C'est par un soir, au soleil couchant, passant une dernière crête, que la vallée s'offrit à nos regards. Un fleuve majestueux bordé de forêts luxuriantes, encaissé dans une vallée gigantesque. Nous débouchâmes de cette plaine infinie à l'herbe rase, où l'eau était constituée uniquement de lacs et d'étangs, pour aboutir devant cette vue merveilleuse. Une cascade fantastique tombait dans un bruit assourdissant. Mais d'où nous étions, seul un imposant silence s'offrait à nos oreilles. La brume provoquée par la chute de cette masse d'eau couvrait une partie de l'horizon, mon peuple l'appellera la première cataracte. Nous avions le soleil couchant dans le dos et toute une partie de la vallée était déjà dans l'ombre. Dès l'aube, tout le monde se précipita pour admirer cette fois le lever du soleil : oui c'était bien ici que nous allions nous installer, le pays était vraiment merveilleux.
L'air vif semblait donner du relief aux montagnes lointaines, de l'autre côté du grand fleuve. L'air était transparent et d'une limpidité qui donnait l'impression de pouvoir compter les feuilles des arbres ou mieux encore, les plumes des oiseaux qui volaient paresseusement au dessus de la forêt, le ventre irisé par le soleil levant. Derrière ceux-ci s'étirait un ciel bleu pâle parsemé de nuages duveteux dont les contours s'effilochaient petit à petit tout au long de leur course vers l'horizon constitué d'une mince barre rosée à reflets mauves. A leur pied se déroulait un paysage qui se déclinait en de multiples nuances d'émeraude, de serpentine et de malachite et même en certains endroits plus précis – comme au bord de l'eau -, couvrait toute la palette du jade au céladon. Plus loin encore des arbres immenses bordaient le fleuve au cours lent et majestueux parsemé d'îles. Cette vallée était vivante, chaude et resplendissante de couleur. Cette vallée serait leur future demeure.
Nous descendîmes dans notre nouveau foyer. Le fleuve aux eaux brunes riches en alluvions était bordé de forêts giboyeuses. C'est dans un de ses méandres, au pied de falaises roses, que nous nous installâmes. Les berges constituées d'immenses roselières permettraient aux eaux basses de créer les cultures nécessaires à notre avenir. C'est en cet endroit que mon nouveau temple fut érigé, à l'identique de celui de l'Atlas. Il fut construit sur l'esplanade se trouvant devant l'immense caverne, qui elle, abritera le Saint des Saints. J'avais toujours ces quatre grandes baies qui permettaient au soleil de me caresser de ses rayons, j'adorais leur douceur, la pièce était toute simple. Par contre la grotte deviendra au cours des siècles un véritable joyau, avec ses murs incrustés de pierres précieuses, de métaux rares et des plus belles essences forestières connues. Mes artistes préférés avaient travaillé les parois rocheuses en accentuant les plis naturels de telle façon qu'ils étaient devenus des motifs ésotériques racontant ma vie.
C'était le soir, lorsque le soleil couchant peignait en vermillon cet endroit magique, quand les sages et philosophes venaient discuter assis sur la margelle, l'un démontrant comment lever une perpendiculaire, l'autre présentant son dernier poème que j'approchais de ce que je suppose être la plénitude d'esprit.
Ma douce amie prit un grand garçon courageux pour époux, lequel lui donna de beaux enfants. L'aîné de ses fils, qui avait hérité d'une partie des capacités intellectuelles de sa mère, devint le premier pharaon de la première des XXXI dynasties qui se succédèrent sur plus de quatre mille ans. Ce sont ceux qui font partie de ces pharaons légendaires, ceux de la lignée d'Anthinéa que j'avais pris, en souvenir d'elle, sous ma protection. De temps à autre, j'abandonnais le pharaon du moment pour un enfant à l'esprit prometteur. Certains devinrent des savants, grands scribes ou architectes. Ce peuple acquit très vite de grandes connaissances en astronomie et en mathématique.
C'est donc dans cette vallée que nous survécûmes aux terribles catastrophes qui s'abattirent sur la terre, raz-de-marée, tsunamis gigantesques, déluges, tremblements de terre, phase glaciaire, mais vaille que vaille mon clan survécut dans cet endroit que j'avais choisi pour notre installation. C'était quatre mille cinq cents ans avant votre ère. Mon aimée vécut longtemps, et elle put voir ses fils et petits-fils devenir les premiers rois du Nil. C'est ici que naîtra la coutume de se servir de l'or divin pour créer les masques funéraires de Pharaon. Ainsi l'or de Ptah, tel était mon nom à cette époque, fut utilisé pour constituer un viatique dans la seconde vie. Et au cours de ces divisions, je perdis une partie de mes capacités, entre autre celle de « voir loin ». 4000 ans et XXXI dynasties….
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