(O) RETBI, Shmuel – Le Fil d’Ariane

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    Daniel LuttringerDaniel Luttringer
    Participant
      #161023
      Daniel LuttringerDaniel Luttringer
      Participant

        Voici un autre (nouveau) texte de Shmuel Retbi dont vous voudrez bien, chers collègues DDV, donnez votre assentiment (ou non).

        A bientôt.

        DanielLuttringer

         

         

        Le Fil d'Ariane



        Préface

        Cette courte nouvelle aurait pu s'intituler : La Critique est Aisée. L'ennui, c'est que l'expression trouve déjà sa place dans des milliers de publication antérieures à celle-ci. Aussi ai-je préféré un titre plus aguichant dand l'espoir d'attirer sur ces lignes l'intérêt du lecteur et de la lectrice. Quoi qu'il en soit, ce texte ne vise qu'à un seul objet : fustiger, fouetter et ridiculiser ceux qui disent du mal des autres sans réfléchir ni aux tenants ni aux aboutissants de leurs propos. Il se peut que cette nouvelle pêche elle-même par là où elle veut critiquer. Entre nous, cela ne m'étonnerait pas. Critiquer les critiques, c'est critiquer l'autre. Or, l'autre, je viens de le sous-entendre, a droit à mon respect et à mon estime autant que j'ai droit moi-même à la paix sociale. Malgré tout, je me sens comme le scorpion qui demande à la grenouille de lui faire passer le ruisseau.

         

        ” Tu ne me piqueras pas ?, demande la sotte bête.

        • Mais non, voyons !, répond le filou. Si je te pique, je coulerai avec toi dans la rivière. “

         

        La grenouille se met en route. Au milieu, le scorpion plante son dard dans la nuque du batracien.

         

        ” Qu-as-tu fait, malheureux ?!

        – Je regrette, je ne peux pas m'en empêcher. “

         

        La meilleure défense étant l'attaque, eh bien attaquons sans délai.

         

        ___

        Avec une Maîtrise de Littérature, même sous-titrée “Mention Très Bien”, il ne faut pas trop exiger de la vie. Si le terme “famille” a quelque chose d'abject et d'insupportable il a parfois de bons côtés. Il ne faut pas cracher dessus, du moins pas à longueur de journée. Ni à bouche raccourcie et surtout pas en public.

         

        Telles étaient les réflexions de Jean-Philippe Mérenger, dont voici le profil avantageux :

        Age : trente-et-un ans,

        Taille : un mètre quatre-vingt,

        Poids : soixante-quinze kilos,

        Yeux : marron,

        Dents : blanches,

        Cheveux : bruns avec des petits effets châtains pas désagréables (la plupart des dames et des demoiselles vous le diront)

        Costume de bonne coupe, chemise blanche, cravate à fines rayures grises et vertes.

        En deux mots ? Le Playboy manqué.

         

        Nous avons dit deux mots de l'apparence extérieure de M. Mérenger et de ses pensées intimes. Il importe à présent d'exposer le cadre qui l'environne et le moment précis de l'action, ou plutôt de l'inaction :

         

        Année : 2015

        Commune : Paris, VIIIe arrondissement

        Lieu : la salle d'attente devant le bureau du Chef de Rédaction du “Parisien à la Une”, l'un des derniers quotidiens tirant encore plus de trois éditions par jour

        Heure : Dix et demi

        Autres personnages : une demoiselle aux cheveux longs blond paille, qui se ronge les ongles avec anxiété et un gros monsieur d'une cinquantaine d'années, son chapeau sur les genoux.

         

        À onze heures moins le quart, la jeune fille et le gros monsieur avaient quitté la place depuis longtemps, l'oeil terne et l'air maussade. L'Oncle Gérard reçut Jean-Philippe avec empressement :

         

        ” Quel bon vent ?! Assieds-toi, garçon. En quoi puis-je t-être utile aujourd'hui ? “

         

        Le demi-héros de cette histoire de famille tira un journal de la poche intérieure de son veston et posa le doigt sur l'annonce suivante :

         

        ” Critique littéraire, culturel et musical. Poste à plein temps. Diplôme de lettres ou des Arts Déco. S'adresser à … “

         

        L'Oncle Gérard sourit :

         

        ” Oui, effectivement, c'est cousu pour toi, ce machin-là. D'ailleurs, je ne plaisante pas. Madame ta mère m'en a parlé et comme je ne peux rien lui refuser, alors, tu comprends ? J'ajoute, à ton honneur, que même si j'avais tout à lui refuser, tu colles exactement aux exigences et aux contingences du job en question. Tu es imbuvable, caustique et impitoyable. C'est juste ce qu'il nous faut. “

         

        L'affaire fut vite conclue. Le mercredi suivant, Jean-Philippe Mérenger prenait possession d'un quart de mètre carré verni, y compris téléphone et ordinateur, plus une chaise pivotante. Nous passerons sur le caractère relativement limité des émoluments que la sinécure apportait à notre journaliste débutant. Souvenons-nous seulement qu'avec Papa et Maman qui poussaient derrière et l'Oncle Gérard qui tirait par devant, il n'y avait pas grand lieu de s'inquiéter de la situation économique de JPM, comme on devait bientôt le surnommer.

         

        Jean-Philippe ne manquait ni d'intelligence ni d'intuition. Après quatre jours d'accoutumance, il demanda une entrevue avec Gérard et lui annonça la nouvelle suivante :

         

        ” Mon cher Oncle, si je te remerciais trop chaleureusement de m'avoir tiré de la fange, tu prendrais ça pour de la flagornerie. Donc, mutus de ce côté, mais je n'en pense pas moins. Ma reconnaissance… enfin bref passons… Ce qui m'amène, en cette belle matinée, c'est une déclaration qui va peut-être te déplaire, mais tu devras m'en excuser. Je n'ai pas l'intention d'écrire la moindre ligne avant lundi prochain. Je veux d'abord pénétrer le sujet, m'y habituer et le dominer. J'ai déjà commencé la lecture d'un excellent traité des années 80, “La Critique aisée”, et j'ai l'intention de le potasser jusqu'à la dernière page, avec ta permission. “

         

        L'Oncle Gérard réfléchit un moment et répondit :

         

        ” D'accord, ça colle. Je te comprends, tu ne veux pas te lancer comme ça comme un taureau dans l'arène. Ce scrupule t'honore, d'ailleurs. Fais comme bon te semble. Je te donne un mois de rôdage. “

         

        Jean-Philippe sortit fort satisfait du bureau du Rédacteur en Chef. Il avait les coudées franches et pouvait se consacrer à l'apprentissage nécessaire.

         

        Parallèlement à son travail de compilation et de digestion du traité de Critique Aisée, Jean-Philippe sauvegarda une trentaine d'articles de ses collègues et concurrents traitant de littérature et de musique. Le cinéma sortant un peu de ses domaines de prédilection, il se proposait de le laisser à plus tard.

         

        Il fut d'emblée frappé par un phénomène auquel il ne s'attendait en rien. Dès la première lecture,il se trouva profondément déçu. Il avait toujours considéré la critique comme un amoncellement de propos acerbes et malveillants contre tout un chacun et il avait sous les yeux un article qui appelait le public en foule à acheter le nouveau roman de Nathalie Ladrien, “Souvenirs de Sardaigne”.

         

        Que d'éloges ! Que de superlatifs ! Le critique tenait plutôt de l'impresario que du bourreau :

         

        ” Elle mérite le Prix Goncourt. Son génie et son talent, la grâce de ses expressions, le chatoyant de ses images, tout la destine au Prix Nobel de 2020… ” Et autres remarques que JPM qualifia in petto d'âneries infâmes. Il n'avait pas lu les Souvenirs de Sardaigne mais il en avait déjà plein la tête, rien qu'à lire la complainte déliquescente de son confrère. Il jugea utile de passer à autre chose.

         

        ” Le quatuor de Dresde à une Soirée Beethoven” dans le “Dauphiné Libre” . L'article ne tarissait pas déloges sur l'harmonie inégalable des deux violons, le velouté de l'alto et la tristesse languissante du violoncelle. Il notait la disposition spéciale des artistes, les deux violons, à gauche, la violoncelliste, à droite, en face d'eux, et l'alto, face au public. Selon le critique, cet arrangement original donnait à chaque son la place de choix qui lui revenait dans l'amalgamme délicat du contrepoint et dans l'audace de l'harmonie polyphonique.

         

        Jean-Philippe relut l'article avec un frisson de dégoût. Il accorda à son confrère la couronne du Roi des lèche-cordes et passa à un autre article.

         

        Malgré son manque de connaissance du cinéma, il décida de tirer ses premières flèches en direction de l'un des nouveauxs produits du septième art. Un long métrage italien occasionnait des queues interminables à l'entrée de trois grandes salles parisiennes. L'intrigue tournait autour d'une poursuite échevelée dans les steppes de l'Asie centrale (petit salut à M. Borodine au passage). La malheureuse Olivia Morelli, Princesse turkmène improvisée, s'enfuyait à toutes jambes pour échapper à une bande de truands montés à cheval. La scène durait plus de trois quarts d'heure, avec des hauts et des bas, des halètements de terreur, des râles de haine assoiffée de sang, des galopades hennissantes et pas mal de sueur de tous les côtés. Le tableau d'ensemble déplut à Jean-Philippe Mérenger :

         

        ” Le cinéma italien nous prouve encore sa nullité maussade et déprimante. On n'y trouve qu'un manque total d'imagination, une platitude lamentable de sentiments et une action totalement ridicule. Olivia Morelli ferait mieux d'aller se cacher derrière ses marmites au lieu de cavaler comme une jument sauvage devant une troupe de truands loufoques. La toile suintait de toute la sueur et de toute la bave dispensées part les hommes et les chevaux. On pouvait en sentir l'odeur, même au septième rang. Madame Morelli, suer et haleter, ça s'apprend, que diable ! Enfin, vous ferez sans doute mieux la prochaine fois… “

         

        La version Internet du journal permettait aux lecteurs d'ajouter un commentaire aux articles et de les signaler sous forme de “Like” et “Don't like”. JPM ramassa 285 “”Like” contre 23 “Don't like”. Gérard Duplessis, ci-dessus “l'Oncle Gérard”, s'estima fort satisfait de sa nouvelle recrue.

         

        Jean-Philippe avait pris le pli. Après avoir compulsé la Critique Aisée, il se sentait de force à attaquer n'importe quel bastion de la littérature, de la musique et du drame.

         

        L'Opéra de Paris lui donna l'occasion de faire feu sur une gentille cantatrice qui répondait au nom d'Almeida Vitellio quand on voulait bien l'appeler. JPM acheta un billet pour la première de carmen de Bizet. Tous les critiques s'accordèrent à reconnaître la grâce de la jeune cantatrice, sa diction parfaite, son sens du théatre et son talent musical. Elle se montra magnifique dans le tragique et émouvante dans la douleur. Une seule voix détonna dans ce concert d'éloges, celle du critique du Parisien à la Une qui exprima son mécontentement dans les termes les plus virulents :

         

        ” Mme Almeida Vitellio, ce n'est pas une Carmen que nous avons devant nous, ce sont deux, que dis-je, trois Carmen qui emplissent l'étroite scène de l'Opéra de Paris. Cette adorable beauté ibérique ferait meilleur figure dans le rôle du Colonel Haki dans le Livre de la Jungle.

        Sa large personne n'a d'égal que son organe puissant. Quelle voix ! Un Stradivarius, mais un Stradivarius qu'on aurait oublié d'accorder avant le concert. Chanter comme cela ne s'appelle pas chanter, mais barrir. “

         

        Les “Like” et les “Don't Like” se retrouvèrent presque à égalité, 812 contre 797. L'Oncle Gérard s'estima heureux du grand nombre de réactions émises en réponse à l'article de son neveu. Son principe de base stipulait l'assertion suivante : ” N'importe ce que l'on dit de vous, l'essentiel, c'est qu'on en parle. “

         

        Cependant, les commentaires négatifs commençaient à abonder. De nombreux lecteurs trouvaient le style de M. JPM un peu cavalier. On avait déjà remarqué que les dix articles déjà publiés ne comportaient pas une seule ligne d'appréciation pour qui que ce soit. On s'en affligeait. On trouvait que même la critique, aussi positive soit-elle, devait s'imposer des limites. Une goutte regrettable allait faire déborder ce vase nocif.

         

        Le poète Guy Dolivier venait de faire paraître son dernier recueil, “La Rose aux Trois Pétales”. Les poèmes qui composaient l'opuscule montraient tous une forme classique très prononcée, une franche aversion vis-à-vis du symbolisme, une noblesse profonde d'idées et une rare sensibilité. Les deux premières strophes avaient un côté un peu impénétrable qui éveillat l'attention du monde culturel :

         

        Ce soir Rome s'endort au doux chant des vestales

        Ce soir s'ouvre à mes yeux la rose aux trois pétales

        Le premier est pour vous, O diane chasseresse,

        Pour vous, de tous ces bois, la charmante maîtresse

         

        Le second est pour vous, O Vénus éternelle,

        Vous dont les doux soupirs chantent l'amour charnel

        Le troisième est pour toi, ma douce et tendre amie,

        Toi qui gîs à mes pieds, à jamais endormie.

         

        Il ne fallait pas être prophète pour comprendre que ces vers douloureux avaient pour origine une tragédie personnelle. Les critiques ne s'y trompèrent pas, à l'exception de Jean-Philippe Mérenger :

         

        ” Ce poète est un nouveau Ronsard. De Ronsard, on a dit qu'il manquait totalement de talent, que ses vers étaient plats comme la main et que ses rimes ne valaient pas la plume qui les avait formées. Il en va de même pour M. Dolivier dont les vers classiques s'allongent comme des macaronis indigestes. On se retrouve quatre-cents ans en arrière. Tout se passe comme si la littérature n'avait pas progressé pendant un demi-millier d'années. Tout est rétrograde, retardaire, insipide, fade et indigeste.

        Comment peut-on écrir' de tels alexandrins

        Qui tâchent de rimer comme des malandrins ?

        Comment son Editeur, si plein de vanité,

        A-t-il pu imprimer de tell's insanités ?

         

         

        Dans son salon du Boulevard Saint-Germain, Madame de Villiers parlait du quotidien et de l'avenir avec sa fille Ariane. Cette grande dame d'une cinquantaine d'années vivait comme en 1880, attendant la Restauration ou le Général Boulanger. Baronne authentique, mondaine officielle, elle y croyait encore. Elle avait eu beaucoup de mal à supporter l'idée que sa fille unique montât sur les planches. Les comédiennes passaient à ses yeux pour des personnes légères et peu fréquentables. Mademoiselle Ariane avait cependant fait son choix. Jeune personne intelligente et délicate, elle vouait son talent au bien-être culturel de ses contemporains les plus déshérités. Elle jouait depuis cinq ans au Théatre des Faubourgs, organisme semi-bénévole, soutenu par de riches philanthropes. Cet établissement proposait trois fois par semaine des représentations gratuites à ceux qui voulaient les voir. Le répertoire très varié de la troupe couvrait plus de cinq-cents ans de théatre de toutes origines et de tous genre. La jeune femme était maintenant connue sous le nom d'Ariane Villiers, la particule choquant ses convictions populistes et démocratiques. Avec le temps, elle avait convaincu sa mère que l'on pouvait jouer la comédie et la tragédie sans se salir et qu'il n'y avait pas là la moindre honte. L'attention des deux femmes se porta tout naturellement sur les dernières critiques des journaux. Madame de Villiers aimait le style frondeur et fringant de JPM. Ariane se montrait beaucoup plus réservée. La conversation tournait maintenant autour de “La Rose aux Trois Pétales”. Ariane remarqua :

         

        ” Il se cache sûrement quelque chose derrière ces vers si douloureux. On n'écrit pas comme ça sans raison, sans une bonne raison… “

         

        En scrutant les commentaires, elle finit par trouver ce qu'elle cherchait. Un lecteur racontait toute l'histoire, d'une façon un peu maladroite, mais cependant fort expressive :

         

        ” M. Dolivier, qui vient de faire sortir son recueil, il était à Rome avec sa femme il y a deux ans. Et puis là, il y avait une grève générale des transports. Et puis, comme ils étaient en voiture, il y a un poids-lourd qui leur est rentré dedans, côté passager. Madame Dolivier a été tuée sur le coup. Le problème, c'était que vu la grève, l'auteur n'a pas pu faire rapatrier le corps et qu'il a dû l'enterrer à la va vite dans un cimetière minable de la capitale italienne. C'est toute l'histoire. J'avoue que ça me débecte pas mal de voir JPM qui se jette là dessus sans réfléchir et sans pitié. Vraiment, c'est assez dégueu. “

         

        Ariane estima qu'effectivement, c'était plutôt dégueu. Alors, elle se mit à réfléchir et cela dura pas mal de temps. Sa mère, qui la connaissait, évita de l'importuner et la laissa à ses pensées.

         

        Le lendemain soir, on jouait la première de Bérénice au Théatre des Faubourgs. M. Mérenger reçut une invitation personnelle à la représentation et, n'ayant rien d'autre à faire ce soir-là, il se rendit à Nanterre à l'heure dûe.

         

        Une fois les lamentations d'Antiochus achevées, Bérénice parut enfin en scène. JPM prenait des notes :

         

        ” Mademoiselle Villiers dans le rôle de Bérénice a l'air d'un saucisson à la vitrine d'un charcutier de province. Elle aurait dû apprendre à marcher avant d'apprendre à déclamer, à croasser, plutôt. “

         

        Ariane commença de sa voix douce et profonde :

         

        Enfin je me dérobe à la joie importune

        De tant d’amis nouveaux que me fait la fortune .

        Je fuis de leurs respects l’inutile longueur,

        Pour chercher un ami qui me parle du cœur.

        Il ne faut point mentir : ma juste impatience

        Vous accusait déjà de quelque négligence.

         

        Jean-Philippe Mérenger ajouta quelques notes à sa première impression et attendit patiemment la fin de la soirée. Comme il allait quitter le théatre, Antiochus l'arrêta :

         

        ” Monsieur Mérenger ? Il y a chez nous quelqu'un qui désire faire votre connaissance…

        • La question serait plutôt si j'ai moi-même envie de faire la sienne ! De qui s'agit-il ?

        • De mademoiselle Ariane, notre numéro un. Elle vous prie de l'attendre, le temps qu'elle se change. “

         

        Mérenger pensa à ce qu'on appelait autrefois une “bonne fortune”. Après tout, pourquoi pas ? En fait, il avait assez bonne mine, le saucisson de province. Elle avait même l'air d'un gentil boudin…

         

        Une demi-heure plus tard, le couple JPM-Ariane Villiers dînait dans un petit restaurant du quartier. Mademoiselle Villiers se montra volubile au possible. Elle dit du mal de tout le monde, sans distinction, et ne tarit pas d'éloges à l'égardr la critique pertinente et virulente de son partenaire. Cependant, en jeune fille sage, elle refusa l'invitation de Jean-Philippe à venir terminer la soirée chez lui. Elle susurra d'une voix douce :

         

        ” Peut-être après-demain, donnez-moi le temps de vous mieux connaître… “

         

        Pour le moins, c'était charmant. JPM fut immédiatement pris au piège. Il n'obtint pas de meilleurs résultats après trois autres repas en amoureux les jours suivants. Il enrageait et rongeait son frein. Après des hésitation louables qui ne faisaient qu'honorer sa plume hésitante, il avait changé complètement de style :

         

        ” Mademoiselle Villiers nous a montré une Bérénice touchante jusqu'aux larmes. Quel talent ! Quelle démarche ! Pas d'emphase, pas de faux-pas. Rien que de la grâce, la maîtrise absolue du texte et un charme inoubliable. “

         

        Les sourcils se soulevaient d'étonnement. Le fauve avait-il été dompté ? Avait-il perdu ses canines dans la bataille ? Mademoiselle Ariane avait sans nulle doute des talents de magicienne en plus de ses dons de comédienne… On lui prêtait même des qualités de séductrice irrésistible qu'elle se garda bien de démentir.

         

        Deux mois plus tard, Ariane achevait son oeuvre de destruction et de reconstruction. Elle présenta JPM à sa bonne maman. Celle-ci reçut le jeune homme avec la plus grande cordialité. Mais il y avait erreur sur toute la longueur. Jean-Philippe se sentait pris autant qu'épris. Il s'était mépris et on l'avait compris.

         

        Un valet de pied sortant directement de la Cour de Louis-Philippe apporta une carte sur laquelle la Baronne lut le nom de M. Guy Dolivier, poète.

         

        ” Faites entrer, dit-elle simplement.

         

        Enfin, les quatre personnages de cette pièce étrange se trouvaient réunis pour la scène finale. Dans le silence pesant qui régnait, Ariane annonça :

         

        ” Chère Maman, je me marie, avec ta permission. “

         

        Le regard de la Baronne de Villiers se tourna tout naturellement vers Jean-Philippe. Ariane corrigea :

         

        ” Non Maman, lui, c'est le garçon d'honneur. J'épouse M. Dolivier le mois prochain. “

         

        Le critique se taisait.

         

        ” Qu'Ariane est difficile” , pensait la Baronne.

         

        #161024
        PommePomme
        Participant

          Je connaissais ce délicieux petit conte de la grenouille et du scorpion, très piquant, et qui s'adapte très bien à votre histoire.

          O

          #161025
          BruissementBruissement
          Participant

              O

            Décidément j'aime beaucoup votre style, cher Shmuel!

            Mais ce que je préfère c'est la richesse et la profondeur de votre esprit qui sous le divertissement léger d'une charmante nouvelle nous propose tel ou tel sujet à méditer tranquillement. Et voyez-vous, cher Shmuel, ces sujets subtils que vous dénichez si facilement, je les trouve toujours intéressants.

            #161026
            CocotteCocotte
            Participant

              O

              Comme toujours, nouvelle très intéressante. Quelle bonne nouvelle de voir que vous reprenez vos activités de création!

              #161030
              Christine TreilleChristine Treille
              Participant

                O

                Merci beaucoup Shmuel pour cette piquante histoire!


                #161046
                Christiane-JehanneChristiane-Jehanne
                Participant

                  O.

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