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- 25 juillet 2010 à 11h51 #14308825 juillet 2010 à 11h51 #152457
L'homme marcha sur quelque chose de mou, puis sentit une morsure dans le pied. Il bondit droit devant lui et, se retournant en proférant un juron, il vit un yararacuçú qui, enroulé sur lui-même, se préparait à une autre attaque.
L'homme jeta un coup d'oeil à son pied, où deux petites gouttes de sang grossissaient peu à peu, et il sortit la machette de sa ceinture. La vipère vit la menace, et enfonça sa tête au coeur de sa spirale ; mais la machette s'abattit tout du long, lui disloquant les vertèbres.
L'homme se baissa pour constater la morsure, ôta les gouttelettes de sang et contempla un instant son pied. Une douleur aigüe naissait des deux petites taches pourpres et commençait à envahir tout le pied. En toute hâte, il noua son mouchoir sur sa cheville et s'en alla par le sentier jusqu'à son ranch.
La douleur dans le pied s'accentuait, accompagnée d'une sensation de gonflement déchirant. Et tout à coup, l'homme ressentit deux ou trois tiraillement fulgurants, comme des éclairs qui irradiaient depuis l'endroit de la blessure jusqu'à la moitié du mollet. Il bougeait la jambe avec difficulté ; une sécheresse métallique dans la gorge, suivie d'une soif brûlante, lui arrachèrent un nouveau juron.
Il arriva enfin au ranch, et s'étendit le long de la roue d'un moulin à sucre. Les deux petites taches pourpres s'étaient volatilisées sous une monstrueuse enflure du pied tout entier. La peau semblait s'affiner et être sur point de céder sous la pression. Il voulut appeler son épouse, mais sa voix se brisa en raison du son rauque émis par sa gorge sèche. La soif le dévorait.
– Dorothée ! parvint-il à lancer dans un râle. Donne-moi du rhum !
Sa femme accourut avec un verre plein, que l'homme absorba en trois gorgées. Mais il ne sentit rien.
– Je t'ai demandé du rhum, pas de l'eau ! rugit-il à nouveau. Donne-moi du rhum !
– Mais c'est du rhum, mon Paul ! protesta la femme épouvantée.
– Non, tu m'as donné de l'eau! Je veux du rhum, je te dis !
La femme courut une fois de plus, et revint avec la bonbonne de rhum. L'homme but deux verres coup sur coup, mais sa gorge ne ressentit rien.
– Eh bien, cela ne me dit rien qui vaille, murmura-il alors en regardant son pied exsangue qui, déjà, présentait un aspect lustré par la gangrène. Par-dessus la profonde ligature du mouchoir, la chair débordait, pareille à un monstrueux boudin.
Des douleurs fulgurantes se succédaient en des éclairs continus, se faisant désormais ressentir jusqu'à l'aine. L'atroce sécheresse de sa gorge, que son haleine semblait aiguiser encore davantage, augmentait de même. Quand il voulut se redresser, des vomissements brutaux le maintinrent une demi-minute le front appuyé sur la roue.
Mais l'homme ne voulait pas mourir, et en descendant vers la côte, il monta sur son canot. Il s'assit sur la poupe et commença à pagayer vers le centre du Paraná. Là, le courant de la rivière qui, à proximité du fleuve Iguazú, fait six milles, le porterait en moins de cinq heures à Tacurú-Pucú.
L'homme, avec l'énergie du désespoir, put effectivement arriver jusqu'au milieu du fleuve. Mais à cet instant, ses mains engourdies laissèrent tomber la pagaie dans le canot, et après avoir de nouveau vomi – du sang cette fois – son regard se porta vers le soleil qui, déjà, se couchait derrière la montagne.
Jusqu'à mi-cuisse, la jambe était déjà une masse informe et dure qui faisait craquer ses vêtements. L'homme coupa le garrot et ouvrit le pantalon avec son couteau : le bas-ventre était très enflé, avec de grandes taches pâles, terriblement douloureux. L'homme pensa qu'il ne pourrait jamais arriver seul à Tacurú-Pucú, et il se décida à demander de l'aide à son compère Alves, bien qu'ils soient fâchés depuis longtemps.
Le courant du fleuve l'entraînait maintenant vers la côte brésilienne, et l'homme put facilement accoster. Il se traîna le long du sentier en pente. Mais à vingt mètres, exténué, il s'affala, le ventre contre terre.
—Alves! —cria-t-il de toutes ses forces, et tendant l'oreille en vain -Alves! Ne me refuse pas ce service! —s'écria-t-il à nouveau, relevant la tête. Dans le silence de la jungle, on n'entendait pas le moindre bruit. L'homme eut encore le courage de revenir à son canot, et le courant l'emmena rapidement à la dérive.
Le fleuve Paraná suit le fond d'une immense cuvette dont les murs, hauts d'une centaine de mètres, encaissent sinistrement le fleuve. Au-dessus des rives bordées de noirs blocs de basalte, s'élève le bois tout aussi obscur. Devant, sur les côtés, derrière, l'éternelle muraille lugubre au fond de laquelle le fleuve tourbillonnant se précipitait en de continuels bouillonnements d'eau boueuse. Le paysage était agressif, et il régnait un silence de mort. La nuit, cependant, sa beauté sombre et calme prit une majesté unique.
Le soleil s'était déjà couché quand l'homme, à demi-étendu au fond du canot, frissonna violemment. Tout d'un coup, avec surprise, il releva péniblement la tête : il se sentait mieux. Sa jambe lui faisait à peine mal, la soif diminuait, et sa poitrine, libre maintenant, s'ouvrait dans une respiration lente.
Le venin commençait à se dissiper, il n'y avait pas de doute. Il allait presque bien et il eut même assez de force pour bouger la main. Et il comptait sur la tombée de la rosée pour se rétablir totalement. Il compta qu'avant trois heures il serait à Tacurú-Pucú.
Le bien-être avançait et avec lui venait une somnolence pleine de souvenirs. Il ne sentait plus rien, ni dans la jambe, ni dans le ventre. Est-ce que son ami Gaona vivait toujours à Tacurú-Pucú ? Peut-être verrait-il son ex-patron mister Dougald et le receveur du chantier.
Arriverait-il bientôt ? Le ciel, au couchant, s'ouvrait maintenant comme un écran d'or, et le fleuve s'était également coloré. Depuis la côte paraguayenne déjà assombrie, le bois laissait tomber sur le fleuve sa fraîcheur crépusculaire en des effluves pénétrants de fleurs d'oranger et de miel sauvage. Un couple d'aras traversa en silence le ciel, très haut, en direction du Paraguay.
Là, en bas, sur le fleuve doré, le canot dérivait rapidement, tournant autour de lui-même sur les remous. L'homme embarqué se sentait de mieux en mieux.. Il se demandait combien de temps s'était écoulé depuis sa dernière rencontre avec son ex-patron Dougald. Trois ans ? Peut-être pas, pas tant que ça. Deux ans et neuf mois ? Peut-être bien. Huit mois et demi ? Oui, sûrement.
Bientôt, il se sentit glacé jusqu'à la poitrine. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Et sa respiration aussi…
Le receveur du chantier de Mister Dougald, Lorenzo Cubilla, il l'avait connu à Puerto Esperanza un Vendredi-Saint. Un Vendredi ? Oui, ou un jeudi? …
L'homm étira lentement ses doigts.
—Un jeudi…
Et il cessa de respirer.
Traduction de Wikisource, révisée par Prof. Tournesol et Christine Sétrin (licence CC By-Nc-Sa).
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