ARISTOTE – Anthologie (Extraits)

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  • #142202
    Augustin BrunaultAugustin Brunault
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      #146669
      Augustin BrunaultAugustin Brunault
      Maître des clés

        ARISTOTE – Anthologie (Extraits)




        De l’âme, III, 5 : Intellect agent.
        Traduction : Sœur Pascale Nau.

        Mais, puisque, dans la nature tout entière, on distingue d’abord quelque chose qui sert de matière à chaque genre (et c’est ce qui est en puissance tous les êtres du genre) et ensuite une autre chose qui est la cause et l’agent parce qu’elle les produit tous, situation dont celle de l’art par rapport à sa matière est un exemple, il est nécessaire que, dans l’âme aussi, on retrouve ces différences. Et, en fait, on distingue, d’une part, l’intellect qui est analogue à la matière, par le fait qu’il devient tous les intelligibles, et, d’autre part, l’intellect qui est analogue à la cause efficiente, parce qu’il les produit tous, attendu qu’il est une sorte d’état analogue à la lumière car, en un certain sens, la lumière, elle aussi, convertit les couleurs en puissance, en cou leurs en acte. Et c’est cet intellect qui est séparé, impassible et sans mélange, étant par essence un acte car toujours l’agent est d’une dignité supérieure au patient, et le principe, à la matière. La science en acte est identique à son objet par contre, la science en puissance est antérieure selon le temps, dans l’individu, mais, absolument, elle n’est pas antérieure même selon le temps, et on ne peut dire que cet intellect tantôt pense et tantôt ne pense pas. C’est une fois séparé qu’il n’est plus que ce qu’il est essentiellement, et cela seul est immortel et éternel. (Nous ne nous souvenons pas cependant, parce qu’il est impassible, tandis que l’intellect subie est corruptible) et, sans l’intellect agent, rien ne pense.

        #146670
        Augustin BrunaultAugustin Brunault
        Maître des clés

          De la génération et de la corruption, I, 6.
          Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

          De l’action réciproque des éléments les uns sur les autres ; de leur mélange ; opinion de Diogène d’Apollonie. Pour comprendre que les éléments agissent ou souffrent les uns par les autres, il faut expliquer ce qu’on entend par leur contact : sens divers de ce mot. Différences du mouvement et de l’action ; le moteur immobile n’a pas besoin nécessairement de toucher l’objet qu’il meut ; l’objet mu peut ne rien toucher à son tour. Fin de la théorie du contact.

          § 1. Comme il faut, en étudiant la matière et conséquemment les éléments, dire tout d’abord s’ils sont ou ne sont pas, si chacun d’eux est éternel ou s’ils sont créés d’une façon quelconque, et, étant créés, s’ils peuvent tous se produire mutuellement de la même manière, ou si l’un d’eux est antérieur aux autres, il s’ensuit qu’il est nécessaire de bien déterminer préalablement les choses dont on n’a parlé jusqu’à cette heure que d’une façon très vague et très insuffisante.

          § 2. En effet, tous ceux qui admettent la création pour les éléments eux-mêmes, aussi bien que pour les composés qui en résultent, se bornent à tout expliquer par la réunion et la désunion, par la passivité et par l’action. Mais l’union n’est qu’un mélange ; et l’on ne nous a pas défini clairement ce que nous devons entendre par le mélange des corps. D’autre part, il n’est pas possible non plus qu’il y ait altération, ni désunion ou réunion, sans un sujet qui agisse et qui souffre ; car ceux qui admettent la pluralité des éléments, les font naître de l’action et de la souffrance réciproques des uns sur les autres.

          § 3. Cependant il faut bien toujours arriver à dire que toute action vient d’un seul et unique élément ; et voilà comment Diogène avait raison en soutenant que, si tous les éléments ne venaient pas d’un seul, ils ne pourraient avoir entr’eux ni action ni souffrance réciproques, et que, par exemple, le chaud ne pourrait pas se refroidir, ni le froid s’échauffer de nouveau. Ce n’est pas, disait-il, la chaleur et le froid qui se changent l’un dans l’autre ; mais évidemment c’est le sujet qui subit le changement. Par conséquent, concluait Diogène, dans les corps où il peut y avoir action et souffrance, il faut nécessairement qu’il y ait une seule nature sujette à ces deux phénomènes. Sans doute, soutenir que toutes les choses sont dans ce même cas, ce ne serait pas exact ; et ceci ne s’observe en effet que dans les choses subordonnées les unes aux autres.

          § 4. Mais si l’on veut s’expliquer nettement l’action, la souffrance et le mélange, il faut, nécessairement aussi, étudier ce que c’est que le contact des choses entr’elles. Les choses ne peuvent pas réellement agir et souffrir l’une par l’autre, quand elles ne peuvent pas se toucher mutuellement ; et si elles ne se sont pas touchées antérieurement, d’une façon quelconque, elles ne peuvent pas du tout être mêlées l’une à l’autre. Il faut donc d’abord définir ces trois phénomènes : le contact, le mélange, et l’action.

          § 5. Partons de ce principe : c’est que, pour toutes les choses où il y a mélange, il faut absolument qu’elles puissent se toucher entr’elles; et si l’une agit et que l’autre souffre, à proprement parler, il faut encore que ce contact soit possible. voilà notre motif pour parler d’abord du contact.

          § 6. Mais, de même que la plupart des autres mots sont pris en plusieurs sens, tantôt par homonymie, et tantôt par dérivation d’autres mots qui leur sont antérieurs, de même cette diversité d’acceptions se représente pour le mot de Contact. Toutefois le contact proprement dit ne peut s’appliquer qu’aux choses qui ont une position, et il n’y a de position que pour les choses qui ont aussi un lieu ; car il faut entendre le contact et le lieu comme le font les mathématiques, soit que chacun d’eux, le lieu et le contact, soient séparés des choses, soit qu’ils existent de toute autre façon. Si donc, ainsi qu’on l’a démontré antérieurement, se toucher c’est avoir ses extrémités réunies, on peut dire que ces choses-là se touchent, qui, ayant des grandeurs et des positions déterminées, ont leurs extrémités réunies ensemble.

          § 7. Mais la position appartenant aux choses qui ont aussi un lieu, et la première différence du lieu étant le haut et le bas, avec les autres oppositions de ce genre, il s’ensuit que toutes les choses qui se touchent doivent avoir pesanteur ou légèreté, ou ces deux propriétés à la fois, ou au moins l’une des deux. Or, ce sont les choses de cette espèce qui sont susceptibles d’agir et de souffrir. On doit donc évidemment en conclure que ces choses-là se touchent naturellement, qui, étant des grandeurs séparées et distinctes, auront leurs extrémités bout à bout, et pourront l’une mouvoir, et l’autre être mue, réciproquement l’une par l’autre. Mais comme le moteur ne meut pas de la même manière que meut à son tour l’objet mu, et que ce dernier ne peut mouvoir qu’autant que lui-même est mis en mouvement, tandis que l’autre peut mouvoir tout en restant lui-même immobile, il est évident que nous pourrons appliquer les mêmes distinctions au corps qui agit ; car, dans le langage commun, on dit tout aussi bien que ce qui meut agit, et que ce qui agit meut.

          § 8. Cependant il y a ici quelque différence ; et il faut bien distinguer : c’est que tout ce qui meut ne peut pas toujours agir, comme nous le verrons en opposant ce qui agit à ce qui souffre. Un corps ne souffre que dans les cas où le mouvement est une affection ou passion ; et il n’y a passion que dans le cas où le corps est simplement altéré; par exemple, dans le cas où il devient chaud, ou devient blanc. Mais l’idée de mouvoir a plus d’extension que celle d’agir. Donc il est évident que parfois les moteurs doivent toucher les choses qu’ils meuvent, et que parfois ils ne les touchent pas.

          § 9. La définition du contact, prise dans son sens le plus général, s’applique aux corps qui ont une position, l’un des corps en contact pouvant mouvoir, et l’autre pouvant être mu, et le moteur et le mobile n’ayant d’autre rapport entr’eux que celui d’action et de souffrance.

          § 10. Dans les cas les plus ordinaires, la chose qui est touchée touche la chose qui la touche ; car presque tous les objets que. nous pouvons observer sont mis en mouvement avant de mouvoir aussi à leur tour ; et dans tous ces cas, il semble qu’il y a nécessité que l’objet qui est touché touche l’objet qui le touche. Mais nous disons qu’il se peut parfois aussi que le moteur seul touche l’objet auquel il donne le mouvement, et que l’objet qui est touché ne touche pas l’autre qui le touche. Comme les corps homogènes ne meuvent que quand ils sont mus eux-mêmes, il faut, ce semble, qu’un corps qui est touché, touche aussi. Par conséquent, s’il y a quelque moteur qui, tout en étant lui-même immobile, communique le mouvement, il faudra qu’il touche l’objet qu’il meut, sans que rien le touche lui-même. C’est ainsi, en effet, que nous disons quelquefois que la personne qui nous fait de la peine, nous touche sans que nous la touchions nous-mêmes.

          § 11. Voilà ce que nous avions à dire sur le contact, considéré dans les objets naturels.

          #146671
          Augustin BrunaultAugustin Brunault
          Maître des clés

            De la génération et de la corruption, I, 7.
            Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

            Théorie de l’action et de la passion ; opinions des philosophes ; Démocrite est celui qui a le mieux compris ce sujet ; cause de l’erreur des philosophes. Le semblable ne peut éprouver aucune action de la part de son semblable ; rapport nécessaire de l’agent et du patient ; leur identité et leur différence. Conciliation des deux opinions opposées, dans une distinction verbale, qu’on ne fait pas toujours. Analogie du mouvement avec les deux phénomènes de l’action et de la passion ; le premier moteur peut être immobile ; le premier agent peut également être impassible. Fin de la théorie de l’action et de la passion.

            § 1. A la suite de ce qui précède, nous allons expliquer ce qu’on doit entendre par agir et souffrir. Nous avons reçu des philosophes antérieurs à nous des théories assez divergentes entr’elles sur ce sujet. Cependant ils conviennent assez unanimement que le semblable ne peut rien souffrir du semblable, parce que l’un n’est pas plus actif ni passif que l’autre ; et que les semblables ont toutes leurs qualités absolument identiques. Puis, on ajoute que ce sont naturellement les corps dissemblables et les corps différents qui ont action et passion réciproques les uns sur les autres. Par exemple, quand un feu moindre est éteint par un feu plus grand, nos philosophes prétendent que le feu qui est moindre souffre en effet par suite de l’opposition des contraires, beaucoup étant le contraire de peu.

            § 2. Démocrite est le seul, à part de tous les autres, qui ait avancé en ceci une opinion particulière. Il soutient que ce qui agit et ce qui souffre est au fond identique et semblable, parce qu’il n’accorde pas que des choses différentes et tout autres puissent souffrir quoi que ce soit les unes des autres ; et si certaines choses, tout en étant différentes entr’elles, ont les unes sur les autres quelqu’action réciproque, ce phénomène, selon lui, se passe en elles non pas en tant qu’elles sont différentes, mais en tant qu’elles ont au contraire un point quelconque de ressemblance et d’identité.

            § 3. Telles sont donc les opinions émises avant nous. Mais les philosophes qui les soutiennent peuvent sembler se contredire entre’ eux ; et, la cause de leurs dissentiments à cet égard, c’est que dans une question où il fallait considérer l’ensemble du sujet, ils n’en ont considéré, les uns et les autres, qu’une seule partie.

            § 4. Il est bien vrai que ce qui est tout à fait semblable et ne diffère absolument d’aucune façon que ce soit, ne peut absolument rien souffrir, ni rien éprouver de la part de son semblable. Pourquoi l’un des deux objets, en effet, agirait-il plutôt que l’autre ? S’il est possible que la chose souffre en quelque manière de son semblable, alors elle pourra se faire souffrir aussi elle-même. Or, ceci étant admis, il en résulterait que rien au monde ne serait impérissable, ni immobile, si l’on suppose que le semblable, en tant que semblable, peut agir, puisqu’alors tout être quelconque pourra se donner le mouvement à lui-même, et le donner tout aussi bien à l’être qui est tout à fait différent, et qui n’a rien du tout d’identique. En effet, la blancheur ne peut subir aucune action de la part d’une ligne, ni une ligne rien éprouver de la part de la blancheur, si ce n’est peut-être par accident et indirectement : dans le cas, par exemple, où la ligne serait par hasard blanche ou noire ; car les choses ne peuvent pas modifier spontanément leur nature, quand elles ne sont pas contraires entr’elles, ou qu’elles ne viennent pas de contraires.

            § 5. Mais comme agir et souffrir ne sont pas naturellement la propriété de la première chose venue et prise au hasard, et qu’ils ne se produisent que dans les choses qui sont contraires entr’elles, ou qui ont entr’elles une certaine contrariété, il en résulte nécessairement que l’agent et le patient doivent être semblables et identiques, au moins par leur genre, et qu’ils sont dissemblables et contraires par leur espèce. Ainsi, la nature veut que le corps subisse l’action du corps, que la saveur subisse l’action de la saveur, la couleur de la couleur ; en un mot, qu’un objet homogène puisse souffrir une action de la part de l’objet homogène. La cause en est que tous les contraires sont dans le même genre, et que les contraires agissent et souffrent les uns de la part des autres. Donc il faut nécessairement qu’en un sens, l’agent et le patient soient pareils ; et en même temps, il faut aussi qu’ils soient dissemblables et différents entr’eux.

            § 6. Puis donc que l’agent et le patient sont les mêmes et semblables en genre et dissemblables en espèce, et que ce sont là les rapports des contraires, il s’ensuit évidemment que les contraires et les intermédiaires agissent et souffrent réciproquement, les uns à l’égard des autres. C’est en eux absolument que se passent la destruction et la production des choses. Aussi, est il tout simple que le feu échauffe et que le froid refroidisse; en un mot, qu’une chose qui agit assimilé à elle la chose qui souffre son action; puisque ce qui agit et ce qui souffre sont des contraires, et que la production est précisément le passage de la chose à son contraire. Il en résulte que nécessairement ce qui souffre se change en ce qui agit ; et c’est seulement ainsi qu’il y aura production aboutissant au contraire.

            § 7. Voilà ce qui explique très bien comment, sans dire expressément les mêmes choses, nos philosophes peuvent cependant, des deux parts, arriver à découvrir la nature et la vérité. Ainsi, tantôt nous disons que c’est le sujet même qui souffre, quand, par exemple, nous disons que telle personne se guérit, qu’elle s’échauffe, qu’elle se refroidit, et qu’elle éprouve telles autres affections du même genre ; et tantôt aussi, nous disons que c’est le froid qui devient chaud, ou que c’est la maladie qui devient la santé ; et des deux parts, l’expression est vraie.

            § 8. Il en est de même aussi en ce qui concerne l’agent ; et nous disons .parfois que c’est telle personne qui échauffe telle chose, et parfois aussi que c’est la chaleur qui échauffe ; car tantôt c’est la matière qui souffre l’action ; et tantôt aussi, c’est le contraire qui souffre. Ainsi, c’est en regardant les choses sous ce point de vue que les uns ont prétendu que l’être qui agit et celui qui souffre doivent avoir quelque chose d’identique ; et que les autres, regardant d’un côté différent, ont prétendu que c’était tout le contraire.

            § 9. Mais le raisonnement qu’on peut faire, pour expliquer ce que c’est qu’agir et souffrir, est le même que celui par lequel on explique ce que c’est que mouvoir et être mu. Ainsi, l’expression de moteur se prend aussi en deux sens. D’abord, la chose où se trouve le principe du mouvement semble être le moteur, puisque le principe est la première des causes ; et c’est, en second lieu, le dernier terme relativement à l’objet qui est mu, et à la production de la chose.

            §10. La même observation s’applique à l’agent ; et c’est ainsi que nous disons également, et que c’est le médecin qui guérit, ou que c’est le vin qu’il ordonne au malade. Rien n’empêche donc que le premier moteur, dans le mouvement qu’il donne, ne reste lui-même immobile ; parfois même il y a nécessité qu’il le soit ; mais le dernier terme doit toujours, pour mouvoir, être d’abord mu lui-même.

            § 11. Dans l’action aussi, le premier terme n’est pas affecté, et il est impassible ; mais il faut que le dernier terme, pour pouvoir agir, souffre aussi lui-même quelqu’action préalablement. Toutes les choses qui n’ont pas la même matière agissent sans souffrir elles-mêmes et en restant impassibles : par exemple, l’art de la médecine ; car tout en faisant la santé, elle n’éprouve aucune action de la part du corps qu’elle guérit. Mais la nourriture, en faisant la santé, souffre et éprouve elle-même aussi quelque affection ; car ou elle est échauffée, ou elle est refroidie, ou elle éprouve telle affection différente, en même temps qu’elle agit. C’est que d’une part, la médecine est ici, en quelque sorte, comme le principe, tandis que, d’autre part, la nourriture est le dernier terme, qui touche l’organe auquel elle s’applique. Ainsi donc, toutes les choses actives qui n’ont pas leur forme dans la matière restent impassibles ; et toutes celles qui ont leur forme dans la matière peuvent souffrir quelqu’action. Nous disons aussi que la matière indifféremment est la même, pour un quelconque des deux termes opposés, et nous la considérons comme étant pour eux leur genre commun. Mais ce qui peut devenir chaud doit nécessairement s’échauffer, quand l’objet qui échauffe est présent et tout proche de lui. Aussi voilà pourquoi, parmi les choses qui agissent, les unes, comme je viens de le dire, sont impassibles, et que les autres, au contraire, peuvent souffrir, et comment il en est pour les agents tout de même que pour le mouvement. Là, en effet, le moteur primitif est immobile; et, ici, parmi les agents, c’est le premier acteur qui est impassible, et à l’abri de toute souffrance.

            § 12. Mais si l’agent est cause, tout aussi bien que le moteur, d’où vient que le principe du mouvement, le but en vue duquel se fait tout le reste, n’exerce pas lui-même d’action ? Par exemple, la santé n’est pas un agent, et l’on ne pourrait l’appeler ainsi que par pure métaphore. Dès que l’agent existe, il s’ensuit que le patient qui souffre l’action devient quelque chose; mais quand les qualités sont tout acquises et présentes, le sujet n’a plus à devenir; il est déjà tout ce qu’il doit être. Les formes et les fins des choses sont, on peut dire, des qualités et des habitudes, tandis que c’est la matière qui, en tant que matière, est toute passive. Ainsi donc, le feu a sa chaleur dans la matière ; et si la chaleur était quelque chose de séparable de la matière du feu, elle ne pourrait rien éprouver ni souffrir. Mais il est impossible, sans doute, que la chaleur soit séparée du feu qui échauffe ; et s’il y a des choses qui soient séparées de cette manière, ce que nous venons de dire ne serait vrai que pour celles-là.

            § 13. En résumé, nous nous bornons aux considérations précédentes pour expliquer ce que c’est qu’agir et souffrir, pour faire voir à quelles choses l’un et l’autre appartiennent, par quel moyen et comment l’action et la passion se produisent.

            #146672
            Augustin BrunaultAugustin Brunault
            Maître des clés

              De la génération et de la corruption, I, 8.
              Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

              Réfutation de la théorie qui suppose que l’action et la passion s’exercent dans les substances matérielles par les pores. Opinion des anciens philosophes ; citation d’Empédocle ; Leucippe et Démocrite sont plus près de la vérité. L’unité de l’être est impossible, ainsi que son immobilité. Étranges aberrations des anciens philosophes. Exposé de la théorie de Leucippe ; exposé de celle d’Empédocle ; ses rapports et ses différences avec celle de Leucippe. Citation du Timée de Platon ; comparaison de Platon et de Leucippe. Quelques objections contre la théorie de Platon, contre la théorie de l’unité, et celle des atomes. Impossibilité d’admettre l’existence des atomes et de comprendre d’où leur est venu le mouvement ; la vision à travers les milieux devient inexplicable. — Fin de la réfutation de la théorie qui explique par les pores l’action et la passion dans les choses.

              §1. Exposons encore une fois comment les deux phénomènes de l’action et de la passion sont possibles. Parmi les philosophes, les uns pensent que, quand une chose souffre passivement un effet quelconque, c’est que l’agent qui produit l’effet en dernier ressort et principalement, pénètre dans cette chose par certains pores ou conduits. C’est ainsi, disent-ils, que nous voyons, que nous entendons, et que nous percevons toutes nos autres perceptions des sens. Si, de plus, les objets peuvent être vus au travers de l’air, de l’eau et des corps diaphanes, c’est que ces corps ont des pores qui sont invisibles, à cause de leur petitesse, mais d’ailleurs fort serrés et rangés régulièrement en ordre ; plus les corps sont diaphanes, plus ils ont de ces pores en grand nombre.

              § 2. C’est ainsi que des philosophes se sont expliqué les choses, comme l’a fait, par exemple, Empédocle. Mais on n’a point borné cette théorie à l’action et à la souffrance, et l’on a même prétendu que les corps ne se mélangeaient entr’eux que quand leurs pores étaient réciproquement commensurables. Leucippe et Démocrite ont tracé ici mieux que personne le vrai chemin ; et ils ont tout expliqué d’un seul mot, en prenant le point de départ réel qu’indique la nature. En effet, quelques anciens ont cru que l’être est nécessairement un et immobile. Selon eux, le vide n’existe pas, et il ne peut pas y avoir de mouvement dans l’univers, puisqu’il n’y a pas de vide séparé des choses. Ils ajoutaient qu’il ne peut pas non plus y avoir de pluralité, du moment qu’il n’y a pas de vide qui divise et isole les choses ; que, du reste, prétendre que l’univers n’est pas continu, mais que les êtres qui le composent se touchent, tout séparés qu’ils sont, cela revient à dire que l’être est multiple et n’est pas un, et qu’il y a du vide ; que si l’être est absolument divisible en tous sens, dès-lors, il n’y a plus d’unité pour quoi que ce soit, de sorte qu’il n’y a pas davantage de pluralité, et que le tout est entièrement vide ; que si l’on suppose que l’univers soit mi-partie d’une façon et mi-partie de l’autre, cette explication, disent-ils, ressemble par trop à une hypothèse toute gratuite ; car alors, jusqu’à quel point et pourquoi telle partie de l’univers est-elle ainsi et est-elle pleine, tandis que telle autre partie est divisée ? Et de cette façon, on arrive également, selon eux, à soutenir nécessairement qu’il n’y a pas de mouvement dans l’univers.

              § 3. C’est en partant de ces théories, en bravant et en dédaignant le témoignage des sens, sous prétexte qu’on doit suivre uniquement la raison, que quelques philosophes en sont venus à croire que l’univers est un, immobile et infini ; car autrement, la limite, selon eux, ne pourrait que confiner au vide.

              § 4. Telles sont donc les théories de ces philosophes, et telles sont les causes qui les ont poussés à comprendre ainsi la vérité. Sans doute, si l’on s’en tient à de purs raisonnements, ceux-là semblent acceptables ; mais, si l’on veut considérer les faits, c’est presqu’une folie que de soutenir de pareilles opinions ; car, il n’y a pas de fou qui soit allé jusqu’à ce point d’aberration, de trouver que le feu et la glace sont une seule et même chose. Mais confondre les choses belles en soi avec celles qui ne nous le paraissent que par l’usage, sans trouver, d’ailleurs, aucune différence entr’elles, ce ne peut être que le résultat d’un véritable égarement d’esprit.

              § 5. Quant à Leucippe, il se croyait en possession de théories qui, tout en s’accordant avec les faits attestés par les sens, ne devaient pas compromettre, selon lui, ni la production ni la destruction, ni le mouvement ni la pluralité des êtres. Mais, après cette concession faite à la réalité des phénomènes, il en fait d’autres à ceux qui admettent l’unité de l’être, sous prétexte qu’il n.’ y a pas de mouvement possible sans le vide, et il accorde que le vide est le non-être, et que le non-être n’est rien de ce qui est. Ainsi, d’après lui, l’être, proprement dit, est excessivement nombreux ; l’être, ainsi entendu, ne peut pas être un ; et, loin de là, ces éléments sont en nombre infini, et sont seulement invisibles à cause de la ténuité extrême de leur volume. Leucippe ajoute que ces particules se meuvent dans le vide, car il admet le vide, et qu’en se réunissant, elles causent la production des choses, et qu’en se dissolvant, elles en causent la destruction ; que les choses agissent ou souffrent, selon qu’elles se touchent mutuellement, et qu’ainsi, elles ne sont pas une seule et même chose ; et que, se combinant et s’entrelaçant les unes aux autres, elles produisent tout l’univers. Leucippe en conclut que jamais la pluralité ne saurait sortir de la véritable unité, pas plus que l’unité ne peut venir davantage de la vraie pluralité, et que tout cela est absolument impossible, de part et d’autre. Enfin, de même qu’Empédocle et quelques autres philosophes, qui prétendent que dans les choses l’action qu’elles souffrent et subissent s’exerce par le moyen des pores, Leucippe croit de même que toute altération et toute souffrance des choses ont lieu de cette même manière, la dissolution et la destruction se produisant par le moyen du vide, et l’accroissement se faisant, également, par le moyen des particules solides, qui entrent dans les choses.

              § 6. Pour Empédocle, il doit tenir nécessairement à peu près le même langage que Leucippe ; car il dit qu’il doit y avoir des particules solides et indivisibles, si les pores ne sont pas absolument continus. Or, cette continuité des pores est impossible ; car alors, il ne pourrait y avoir rien de solide, si ce n’est les pores ; et tout, sans exception, ne serait plus que du vide. Donc, il faut, selon Empédocle, que les particules qui se touchent soient indivisibles, et que les intervalles seuls qui les séparent soient vides ; et c’est là ce qu’il appelle les pores. Or, ces opinions sont aussi celles de Leucippe sur l’action et la passion dans les choses.

              § 7. Telles sont les explications qu’on a données sur la façon dont les choses sont tantôt actives et tantôt passives. Ainsi, l’on voit ce qu’il en est réellement pour ces philosophes, et comment ils s’expriment à cet égard, en soutenant des systèmes qui sont à peu près d’accord avec les faits.

              § 8. Mais, dans les théories d’autres philosophes, tels qu’Empédocle, on aperçoit moins nettement comment ils conçoivent la production, la destruction, l’altération des choses, et la manière dont ces phénomènes ont lieu. Ainsi pour les uns, les éléments primitifs des corps sont indivisibles; ils ne diffèrent entr’eux que par les formes, et c’est de ces éléments que les corps sont primitivement composés, et c’est en eux que, définitivement, ils se dissolvent. Mais, quant à Empédocle, on voit bien assez clairement qu’il pousse la production et la destruction des choses jusqu’aux éléments eux-mêmes. Du reste comment peut se produire et se détruire la grandeur compacte de ces éléments ? C’est ce qui n’est pas du tout clair dans son système ; c’est, en outre, ce qu’il ne saurait expliquer, puisqu’il nie que le feu même soit un élément, ainsi qu’il nie également l’existence de tous les autres. Platon a soutenu la même thèse dans le Timée; car, tant s’en faut que Platon s’exprime sur ce point comme Leucippe, que l’un admet que les indivisibles sont des solides, et l’autre, qu’ils ne sont que des surfaces; que l’un soutient que tous les solides indivisibles sont déterminés par des figures dont le nombre est infini, et l’autre, qu’ils ont des figures finies et précises. Le seul point où tous les deux s’accordent, c’est qu’ils admettent l’existence des indivisibles, et leur limitation par des figures.

              § 9. Si c’est bien de là en effet que viennent les productions et les destructions des choses, il y aurait dès lors, pour Leucippe, deux manières de les concevoir, le vide et le contact. C’est ainsi, selon lui, que chaque chose serait distincte et divisible.. Mais, pour Platon au contraire, il n’y a que le contact tout seul, puisqu’il rejette l’existence du vide. Nous avons parlé, dans nos recherches antérieures, du système des surfaces indivisibles ; et quant aux solides indivisibles, ce n’est pas le lieu ici d’examiner plus longuement les conséquences de cette théorie, que nous laisserons de côté pour le moment.

              § 10. Mais en nous permettant une légère digression, nous dirons que, nécessairement, dans ces systèmes, tout indivisible doit être impassible; car il ne saurait être passif et souffrir aucune action que par le vide, qu’on n’admet pas ; et il ne peut produire non plus aucune action sur quoi que ce soit, puisqu’il ne peut être, par exemple, ni dur, ni froid. Certainement, il est absurde de se borner à accorder la chaleur uniquement à la forme sphérique ; car dès lors, il y a nécessité aussi que la qualité contraire, c’est-à-dire le froid, appartienne à quelqu’autre figure que la sphère. Mais si ces deux qualités existent dans les choses, je veux dire la chaleur et le froid, il serait absurde de croire que la légèreté et la pesanteur, la dureté et la mollesse, n’y peuvent pas être également. Je reconnais que Démocrite prétend que chaque indivisible peut être plus pesant, s’il est plus considérable, de telle sorte qu’évidemment aussi il pourra être plus chaud.

              § 11. Mais il est impossible que, étant ainsi qu’on le dit, ces indivisibles ne subissent pas d’influence les uns de la part des autres, et que, par exemple, ce qui est médiocrement chaud ne subisse pas d’influence de la part de ce qui a une chaleur infiniment plus forte. Mais si le dur subit une influence, le mou doit aussi en subir une ; car on ne dit d’une chose qu’elle est molle qu’en pensant à une action qu’elle peut souffrir, puisque le corps mou est précisément celui qui cède aisément à la pression.

              §12. D’ailleurs il n’est pas moins absurde de n’admettre dans les choses absolument rien que la forme ; et, si l’on admet la forme, de n’en supposer qu’une seule, soit, par exemple, le froid, soit la chaleur; car il ne peut pas y avoir une seule et même nature pour ces deux phénomènes opposés.

              § 13. Il y a une égale impossibilité, il est vrai, à supposer que l’être, en restant un, puisse avoir plusieurs formes ; car étant indivisible, il éprouverait ses affections diverses dans le même point. Par conséquent, il aurait beau souffrir, et, par exemple, être refroidi, par cela même il produirait aussi quelqu’autre action, ou il souffrirait même quelqu’autre affection quelconque.

              § 14.. On pourrait faire les mêmes remarques pour toutes les autres affections ; car soit qu’on admette des solides indivisibles, soit qu’on admette des surfaces indivisibles, les conséquences sont les mêmes, puisqu’il n’est pas possible que les indivisibles soient, tantôt plus rares, et tantôt plus denses, s’il n’y a pas de vide dans les indivisibles.

              § 15. Il est tout aussi absurde de supposer que de petits corps sont indivisibles, et que de grands corps ne le sont pas. Dans l’état présent des choses, la raison comprend, en effet, que les corps plus grands peuvent se broyer bien plus aisément que les petits, attendu qu’ils se dissolvent sans peine, précisément parce qu’ils sont grands, et qu’ils touchent et se heurtent à beaucoup de points. Mais pourquoi les indivisibles se trouveraient-ils absolument dans les petits corps plutôt que dans les grands ?

              § 16. De plus, tous ces solides ont-ils une seule et même nature, ou bien diffèrent-ils les uns des autres, les uns étant de feu, et les autres, de terre selon leur masse ? S’il n’y a qu’une seule et même nature pour tous, quelle cause peut les avoir divisés ? Ou bien, pourquoi, en se touchant, ne se réunissent-ils pas tous, par leur contact, en une seule et même masse, comme de l’eau quand elle touche de l’eau? La dernière eau ajoutée ne diffère en rien de celle qui la précédait. Mais si ces indivisibles sont différents les uns des autres, alors que sont-ils? Evidemment, il faut admettre que ce sont là les principes et les causes des phénomènes, bien plutôt qu’ils n’en sont les simples formes ; et d’autre part, si l’on dit qu’ils diffèrent de nature, ils peuvent alors, en se touchant mutuellement, agir ou souffrir les uns par les autres.

              § 17. Bien plus, quel sera le moteur qui les mettra en mouvement ? Si ce moteur est différent d’eux, alors l’indivisible est passif. Si chaque indivisible se meut lui-même, ou il deviendra divisible, moteur en une partie, et mobile dans une autre, ou bien les contraires coexisteront dans la chose. La matière alors sera une, non pas seulement numériquement, mais aussi en puissance.

              § 18. Ceux donc qui prétendent que les modifications subies par les corps se produisent par le mouvement des pores, doivent prendre garde ; car s’ils admettent que le phénomène a lieu même quand les pores sont pleins, ils leur prêtent alors un rôle bien inutile, puisque, si le corps, en cet état, souffre de la même façon, on peut supposer que, sans avoir de pores, et étant lui-même continu, il pourrait tout aussi bien souffrir tout ce qu’il souffre.

              § 19. Mais comment la vision pourrait-elle se produire de la façon dont on l’explique dans ce système? Il n’est pas plus possible en effet qu’elle passe par les contacts au travers des objets diaphanes, qu’au travers des pores, si ces pores sont tous pleins. Où sera donc la différence d’avoir ou de ne point avoir de pores, puisque tout sera plein également? Que si ces pores même sont supposés vides, et s’il doit y avoir des corps en eux, alors se représenteront les mêmes difficultés. Mais si l’on suppose que les pores ont de si petites dimensions qu’ils ne puissent plus recevoir un corps quelconque, c’est une opinion ridicule de s’imaginer que le petit est vide, et que le grand ne l’est pas, quelle que soit son étendue, et d’aller croire que le vide soit autre chose que la place du corps, de telle sorte qu’évidemment, il faudrait que le vide fût toujours en volume égal au corps lui-même.

              § 20. En un mot, il est bien inutile de supposer des pores. Si une chose n’agit pas par son contact sur une autre, elle n’agira pas davantage parce qu’elle traversera des pores; et si c’est par le contact qu’elle agit, alors, même sans pores, les choses agiront ou souffriront l’action toutes les fois que la nature les aura mises, l’une envers l’autre, dans une relation de ce genre.

              § 21. On voit enfin, par tout ceci, qu’imaginer des pores dans le sens où quelques philosophes les ont compris, c’est une erreur complète ou une hypothèse bien vaine. Les corps étant absolument divisibles en tous sens, il est ridicule de supposer des pores, puisque, en tant que les corps sont divisibles, ils peuvent toujours se séparer.

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              Augustin BrunaultAugustin Brunault
              Maître des clés

                De la génération et de la corruption, I, 9.
                Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

                Détails nouveaux sur la théorie de la production des choses et de leurs propriétés actives et passives ; actions qui se produisent au contact et à distance ; explication insuffisante de Démocrite ; transformation des corps changeant d’état sans changer de place. Fin de la théorie de l’action et de la passion.

                § 1. Quant à nous, remontant au principe que nous avons si souvent énoncé, reprenons l’explication de la manière dont la production, l’action et la souffrance ont lieu dans les choses. Si, en effet, une chose a telle propriété tantôt en simple puissance, tantôt en réalité, en entéléchie, et si naturellement elle peut souffrir dans telle de ses parties, et ne pas souffrir dans, telle autre, mais que, pour sa totalité, elle souffre dans la proportion même où elle a cette propriété, il est clair qu’elle souffrira plus ou moins selon que cette propriété sera plus ou moins forte en elle. C’est en ce sens surtout qu’on pourrait plus aisément admettre l’existence des pores ; ils seraient ainsi dans les corps, comme, dans les métaux, s’étendent quelquefois des veines continues de la matière susceptible d’une certaine affection.

                § 2. Ainsi tant que la chose est homogène et qu’elle est une, elle est impassible. Il en est encore de même, quand les choses ne se touchent pas entr’elles, ou n’en touchent pas d’autres qui peuvent, parleur nature, agir ou souffrir ; je veux dire, par exemple, que non seulement le feu échauffe au contact, mais qu’il échauffe aussi à distance ; car le feu échauffe l’air, et l’air échauffe le corps, parce que l’air peut, par sa nature, à la fois agir et souffrir.

                § 3. Mais quand on dit qu’une chose peut souffrir dans une de ses parties et peut ne pas souffrir dans une autre, on doit expliquer ce qu’on entend par là, après la définition donnée dans le principe. Si en effet, la grandeur n’est pas absolument divisible en tous sens, mais qu’il y ait quelque chose, corps ou surface, qui soit indivisible en elle, il s’ensuivrait qu’il n’y a plus de grandeur qui puisse être totalement passive. Mais il n’y aurait plus rien non plus qui pût être continu. Or, si c’est là une erreur et que tout corps soit toujours divisible, il n’importe plus que le corps soit divisé réellement, et comme tel susceptible de contacts, ou qu’il soit simplement divisible ; car du moment qu’il peut être divisé aux points de contact, ainsi qu’on le prétend, il peut être regardé comme divisé, même avant de l’être ; et il sera divisible, puisque rien de ce qui est impossible ne se produit jamais.

                § 4. Ce qui rend tout à fait absurde de soutenir que l’action et la passion ont lieu de cette manière, par la scission des corps, c’est que cette théorie supprime et détruit l’altération. Ainsi, nous voyons qu’un même corps, sans cesser d’être continu, est tantôt liquide, tantôt coagulé, sans qu’il souffre cette modification, ni par la division de ses parties, ni par leur combinaison, ni par leur déplacement, ni par leur contact, comme le prétend Démocrite. Car le corps n’a eu ni à changer de position, : ni à changer de place, ni à changer de nature, pour devenir coagulé, de liquide qu’il était. On ne voit pas non plus que les choses durcies et coagulées soient actuellement indivisibles dans leur masse ; mais le corps tout entier est également liquide, et parfois il devient tout entier dur et il se coagule.

                § 5. Enfin, dans ce système, il ne saurait plus y avoir ni accroissement des choses, ni dépérissement; car, aucun corps n’aura pu devenir plus grand s’il n’y a qu’une simple addition, et s’il ne change pas tout entier lui-même, par suite du mélange d’une chose étrangère, ou par suite de quelque changement qui se passe en lui.

                § 6. Nous nous bornerons à ce que nous venons de dire, en ce qui concerne la production des choses, leur action, leur génération et leurs modifications réciproques. Ceci suffit également pour comprendre dans quel sens ces phénomènes sont possibles, et comment ils ne le sont pas, d’après les explications qui en ont été quelquefois données.

                #146674
                Augustin BrunaultAugustin Brunault
                Maître des clés

                  De la génération et de la corruption, I, 10.
                  Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

                  Théorie du mélange; Il y a des philosophes qui ont nié que les choses pussent jamais se mêler entr’elles ; réfutation de cette théorie ; idée générale des. conditions du mélange. Nature diverse des corps mélangés ; différence de la juxtaposition et du mélange véritable ; pour qu’il y ait mélange entre les choses, il faut qu’il y ait homogénéité entre elles, et même une certaine proportion ; la goutte de vin dans une grande quantité d’eau ; facilité ou difficulté du mélange, selon la variété dans la nature et la forme des choses. Fin de la théorie du mélange.

                  § 1. Il nous reste à étudier ce que c’est que le mélange des choses, et nous suivrons ici la même méthode que précédemment ; car, c’est là le troisième des sujets que nous nous étions proposé d’examiner, au début de ces recherches. Il faut donc voir ce qu’est le mélange, ce qu’est la chose susceptible d’être mélangée, quelles sont les choses entre lesquelles le mélange peut se faire, et comment ce phénomène s’accomplit.

                  § 2. D’autre part, on peut même aussi se demander s’il existe bien réellement un mélange des choses, ou si ce n’est là qu’une erreur; car, on peut croire qu’une chose ne doit jamais se mêler à une autre, ainsi que le prétendent quelques philosophes. En effet, disent-ils, quand les choses qui ont été mêlées subsistent encore et ne sont pas altérées, on ne peut pas dire qu’elles sont actuellement plus mêlées qu’elles ne l’étaient auparavant ; mais elles sont toujours au même état. Si l’une des deux choses est venue à disparaître, dans le mélange, on ne peut plus dire qu’elles sont mêlées, mais seulement que l’une existe et que l’autre n’existe plus, tandis que le mélange ne peut vraiment avoir lieu qu’entre des choses qui existent également. Enfin, ajoutent-ils, il n’y a pas non plus de mélange, et par la même raison, si les deux choses qui se réunissent viennent toutes les deux à être détruites en se mêlant ; car il est bien impossible que des choses qui ne sont plus du tout puissent être mélangées.

                  § 3. Cette théorie, comme on le voit, a pour but de déterminer en quoi le mélange des choses diffère de leur production et de leur destruction, et aussi en quoi la chose mélangée diffère de la chose produite, et de la chose détruite ; car, évidemment, le mélange doit différer en supposant qu’il soit réel. Une fois ces questions éclaircies, celles que nous nous étions posées se trouveront résolues.

                  § 4. C’est là ce qui fait aussi qu’on ne peut pas dire que la matière s’est mêlée au feu qui l’a consumée, ni même qu’elle s’y mêle pendant qu’elle brûle, de même qu’on ne pourrait pas dire qu’elle se mêle à elle-même, dans les parties du feu, pas plus qu’au feu lui-même ; mais on dit simplement que le feu s’est produit, et que la matière combustible s’est détruite. De même encore, on ne peut pas dire davantage, ou de la nourriture, que c’est en se mêlant au corps, ou de la forme du cachet, que c’est en se mêlant à la cire, qu’elles donnent une certaine figure à la masse entière. On doit reconnaître aussi que, ni le corps et la blancheur, ni, en un mot, les qualités et les affections des corps ne peuvent se mêler aux choses, puisqu’on voit, au contraire, que les deux subsistent. La blancheur et la science ne peuvent pas davantage composer réellement un mélange, non plus qu’aucune des qualités ou attributs qui ne sont pas séparables.

                  § 5. Aussi, est-ce se tromper que de soutenir que toutes choses ont été jadis confondues, et que tout s’est trouvé mêlé ; car tout ne peut point se mêler indifféremment à tout. Il faut toujours que chacune des deux. choses qui se mêlent puisse subsister séparément; or, jamais les qualités des choses n’en peuvent être séparées. Mais comme parmi les choses, les unes sont en simple puissance et les autres en toute réalité, il s’ensuit que les choses qui se mêlent peuvent, en un sens, exister encore, et, en un autre sens, ne plus exister. Si, en réalité, le produit qui résulte du mélange est quelque chose de différent, il n’en est pas moins toujours, en puissance, les deux choses qui existaient avant de se mélanger et de se perdre dans le mélange. C’est là, précisément, la réponse à la question que soulevait la théorie dont nous venons de parler ; et il semble que les mélanges se forment de choses qui étaient antérieurement séparées, et qui peuvent l’être encore de nouveau. Ainsi, les choses mélangées ne subsistent pas en réalité, comme demeure et subsiste le corps et la blancheur qui le caractérise; et elles ne sont pas non plus détruites, soit l’une des deux isolément, soit toutes deux à la fois, puisque leur puissance se conserve toujours.

                  § 6. Mais laissons ceci de côté, et passons à la question suivante, qui consiste à savoir si le mélange est quelque chose que puissent percevoir nos sens. Par exemple, lorsque ,les choses mélangées sont divisées en parties assez petites, et qu’elles sont placées assez proche les unes des autres pour que l’une ne soit plus sensiblement distincte de l’autre, y a-t-il alors ou n’y a-t-il pas mélange ? Mais n’est-il pas possible aussi que, dans le mélange, les choses quelconques soient placées, parties par parties, les unes à côté des autres? Car on appelle encore cela un mélange ; et c’est ainsi que l’on dit que la paille est mêlée au grain, quand, à côté de chaque grain, est placé un brin de paille.

                  § 7. Si un corps est divisible, et si un corps, quand il est mêlé à un autre corps, doit lui être homogène, il faudrait que toute partie quelconque du mélange s’unit à une autre partie quelconque. Mais comme le corps ne peut jamais être divisé en ses parties les plus petites, et comme la juxtaposition n’est pas du tout le mélange et est tout autre chose, évidemment on ne peut plus dire que les choses sont mélangées, quand elles se conservent ce qu’elles sont, en petites particules. Alors il y a juxtaposition ; mais il n’y a ni mixtion, ni mélange ; et la définition d’une partie du mélange ne pourra plus être la même que celle qu’on donnerait du mélange tout entier. Quant à nous, nous disons que, pour qu’il y ait un vrai mélange, il faut que la chose mélangée soit composée de parties homogènes ; et, de même qu’une partie d’eau est de l’eau, de même aussi doit être une partie quelconque du mélange. Mais si le mélange n’est qu’une juxtaposition faite de particules à particules, aucun des faits que nous venons d’analyser n’aura lieu ; et ce sera seulement pour les yeux que les deux choses paraîtront mélangées. Aussi la même chose paraîtra mélangée à tel observateur qui n’aura pas la vue bien perçante, tandis que Lyncée trouvera qu’il n’y a pas de mélange.

                  § 8. La division n’explique pas le mélange, non plus que ne l’explique la réunion d’une partie quelconque à une autre partie, puisque la division ne saurait avoir lieu de cette manière. Donc, ou il n’y a pas de mélange possible, ou il faut se mettre à un autre point de vue pour exposer comment ce phénomène peut avoir lieu. Rappelons d’abord que , parmi les choses, ainsi que nous l’avons dit, les unes sont actives, les autres sont passives sous l’action de celles-là. Les unes ont une influence réciproque ; ce sont celles dont la matière est la même, pouvant agir les unes sur les autres, ou souffrir les unes par les autres également. D’au très agissent, tout en restant impassibles; ce sont celles dont la matière n’est pas la même ; et pour celles-là, il n’y a pas de mélange possible. Voilà comment la médecine ne se mêle pas aux corps pour faire la santé, et pourquoi la santé ne s’y mêle pas non plus.

                  § 9. Même, parmi les choses qui peuvent agir et souffrir réciproquement, toutes celles qui sont faciles à se diviser, quand elles se mêlent en grand nombre à un petit nombre d’autres choses, et en quantité considérable à une quantité peu considérable, ne produisent pas précisément un mélange, mais seulement un accroissement de l’élément qui prédomine. Alors l’une des deux choses mélangées se change en celle qui prédomine ; ainsi, une goutte de vin ne se mêle pas à une quantité d’eau qui serait de dix mille amphores ; car, dans ce cas, l’espèce est dissoute et change, en disparaissant dans la masse d’eau toute entière. Mais, lorsque les quantités sont à peu près égales, alors chacun des éléments perd de sa nature pour prendre de celle de l’élément qui est prédominant. Le mélange ne devient pas un des deux absolument ; mais il devient quelque chose d’intermédiaire et de commun.

                  § 10. Il est donc évident qu’il n’y a mélange que lorsque des choses qui agissent ont une certaine opposition entr’elles; car alors , elles peuvent souffrir quelqu’effet l’une par l’autre. De petites choses, approchées de petites choses, se mélangent davantage; car elles s’intercalent plus aisément et plus vite les unes dans les autres. Mais une grande quantité, sous l’action d’une autre quantité, grande aussi, ne produit cet effet qu’à la longue.

                  § 11. Ainsi, parmi les choses divisibles et passives, celles qui se délimitent aisément , peuvent se mélanger ; car ces choses se divisent sans peine en petites parties. C’est là, précisément, ce qu’on entend par se délimiter aisément ; par exemple, les liquides sont de tous les corps, ceux qui sont le plus susceptibles de mélange ; car le liquide est, parmi les choses divisibles, celle qui se détermine et se délimite le plus aisément, pourvu qu’il ne soit pas visqueux ; les corps visqueux ne font que rendre le volume total plus grand et plus considérable. Mais, lorsque l’un des deux corps qui se mêlent est seul à être passif, ou qu’il l’est beaucoup, et que l’autre l’est fort peu, le mélange, résultant des deux, ou n’est pas du tout plus considérable, ou ne l’est guère davantage. C’est ce qui arrive pour l’étain mêlé à l’airain ; car, il y a certains corps qui sont assez indécis les uns à l’égard des autres, et sont d’une nature ambiguë. On peut observer que ces corps-là ne se mêlent qu’imparfaitement et dans une certaine mesure ; on dirait que l’un est un simple réceptacle, tandis que l’autre est la forme. C’est là justement ce qui arrive pour ces deux corps qui viennent d’être nommés; car, l’étain qui est comme une simple affection de l’airain sans matière, disparaît presque complètement et s’évanouit par le mélange, auquel il ne fait que donner une certaine couleur. Le même phénomène arrive aussi pour d’autres corps.

                  § 12. On voit donc, d’après tous les détails précédents, que le mélange est possible et ce qu’il est; on voit comment il se produit, et quelles sont les choses entre lesquelles il peut avoir lieu. Ce sont celles qui peuvent souffrir une action les unes de la part des autres, et qui sont facilement déterminables et facilement divisibles. Les substances de ce genre ne sont pas nécessairement détruites dans le mélange; mais elles n’y restent pas non plus absolument les mêmes ; leur mélange n’est pas une simple juxtaposition, et les deux corps ne sont plus perceptibles aux sens. Mais on dit d’une chose qu’elle est mélangée, lorsque, pouvant se déterminer facilement, elle peut tout à la fois agir et souffrir, et qu’elle se mêle à une chose qui a aussi ces mêmes propriétés ; car la chose mélangée ne l’est jamais que relativement à une chose qui lui est homonyme. En un mot, le mélange est l’union, avec altération, des choses mélangées.

                  #146675
                  Augustin BrunaultAugustin Brunault
                  Maître des clés

                    Éthique à Nicomaque, III, 5 : Analyse de la délibération.
                    Traduction : Sœur Pascale Nau.

                    Est-ce qu’on délibère sur toutes choses autrement dit est-ce que toute chose est objet de délibération, ou bien y a-t-il certaines choses dont il n’y a pas délibération ? Nous devons sans doute appeler un objet de délibération non pas ce sur quoi délibérerait un imbécile, ou un fou, mais ce sur quoi peut délibérer un homme sain d’esprit. Or, sur les entités éternelles, il n’y a jamais de délibération : par exemple, l’ordre du Monde ou l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré. Il n’y a pas davantage de délibération sur les choses qui sont en mouvement mais se produisent toujours de la même façon soit par nécessité, soit par nature, soit par quelque autre cause : tels sont, par exemple, les solstices et le lever des astres. Il n’existe pas non plus de délibération sur les choses qui arrivent tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, par exemple les sécheresses et les pluies, ni sur les choses qui arrivent par fortune, par exemple la découverte d’un trésor Bien plus : la délibération ne porte même pas sur toutes les affaires humaines sans exception : ainsi, aucun Lacédémonien ne délibère sur la meilleure forme de gouvernement pour les Scythes. C’est qu’en effet, rien de tout ce que nous venons d’énumérer ne pourrait être produit par nous. Mais nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous et que nous pouvons réaliser et ces choses-là sont, en fait, tout ce qui reste car on met communément au rang des causes, nature, nécessité et fortune, et on y ajoute l’intellect et toute action dépendant de l’homme. Et chaque classe d’hommes délibère sur les choses qu’ils peuvent réaliser par eux-mêmes.

                    Dans le domaine des sciences, celles qui sont précises et [1112b] pleinement constituées ne laissent pas place à la délibération : par exemple, en ce qui concerne les lettres de l’alphabet (car nous n’avons aucune incertitude sur la façon de les écrire). Par contre, tout ce qui arrive par nous et dont le résultat n’est pas toujours le même, voilà ce qui fait l’objet de nos délibérations : par exemple, les questions de médecine ou d’affaires d’argent. Et nous délibérons davantage sur la navigation que sur la gymnastique, vu que la navigation a été étudiée d’une façon moins approfondie, et ainsi de suite pour le reste. De même nous délibérons davantage sur les arts que sur les sciences, car nous sommes à leur sujet dans une plus grande incertitude. La délibération a lieu dans les choses qui, tout en se produisant avec fréquence demeurent incertaines dans leur aboutissement, ainsi que là où l’issue est indéterminée. Et nous nous faisons assister d’autres personnes pour délibérer sur les questions importantes, nous défiant de notre propre insuffisance à discerner ce qu’il faut faire.

                    Nous délibérons non pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les moyens d’atteindre les fins. Un médecin ne se demande pas s’il doit guérir son malade, ni un orateur s’il entraînera la persuasion, ni un politique s’il établira de bonnes lois, et dans les autres domaines on ne délibère jamais non plus sur la fin à atteindre.

                    Mais, une fois qu’on a posé la fin, on examine comment et par quels moyens elle se réalisera ; et s’il apparaît qu’elle peut être produite par plusieurs moyens, on cherche lequel entraînera la réalisation la plus facile et la meilleure. Si au contraire la fin ne s’accomplit que par un seul moyen, on considère comment par ce moyen elle sera réalisée, et ce moyen à son tour par quel moyen il peut l’être lui-même, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause immédiate laquelle, dans l’ordre de la découverte, est dernière. En effet, quand on délibère on semble procéder, dans la recherche et l’analyse dont nous venons de décrire la marche, comme dans la construction d’une figure (s’il est manifeste que toute recherche n’est pas une délibération, par exemple l’investigation en mathématiques, par contre toute délibération est une recherche), et ce qui vient dernier dans l’analyse est premier dans l’ordre de la génération. Si on se heurte à une impossibilité, on abandonne la recherche, par exemple s’il nous faut de l’argent et qu’on ne puisse pas s’en procurer ; si au contraire une chose apparaît possible, on essaie d’agir.

                    Sont possibles les choses qui peuvent être réalisées par nous, et cela au sens large car celles qui se réalisent par nos amis sont en un sens réalisées par nous, puisque le principe de leur action est en nous.

                    L’objet de nos recherches c’est tantôt l’instrument lui-même, tantôt son utilisation. Il en est de même dans les autres domaines : c’est tantôt l’instrument, tantôt la façon de s’en servir, autrement dit par quel moyen.

                    Il apparaît ainsi, comme nous l’avons dit, que l’homme est principe de ses actions et que la délibération porte sur les choses qui sont réalisables par l’agent lui-même ; et nos actions tendent à d’autres fins qu’elles-mêmes. En effet, la fin ne saurait être un objet de délibération, mais seulement les moyens en vue de la fin. Mais il faut exclure aussi les choses particulières par exemple si ceci est du pain, [1113a] ou si ce pain a été cuit comme il faut, car ce sont là matières à sensation. − Et si on devait toujours délibérer, on irait à l’infini.

                    L’objet de la délibération et l’objet du choix sont identiques, sous cette réserve que lorsqu’une chose est choisie elle a déjà été déterminée puisque c’est la chose jugée préférable à la suite de la délibération qui est choisie. En effet, chacun cesse de rechercher comment il agira quand il a ramené à lui-même le principe de son acte, et à la partie directrice de lui-même car c’est cette partie qui choisit. Ce que nous disons là s’éclaire encore à la lumière des antiques constitutions qu’Homère nous a dépeintes les rois annonçaient à leur peuple le parti qu’ils avaient adopté.

                    L’objet du choix étant, parmi les choses en notre pouvoir, un objet de désir sur lequel on a délibéré, le choix sera un désir délibératif des choses qui dépendent de nous car une fois que nous avons décidé à la suite d’une délibération, nous désirons alors conformément à notre délibération.

                    #146676
                    Augustin BrunaultAugustin Brunault
                    Maître des clés

                      Éthique à Nicomaque, VI, 1 : La droite règle.
                      Traduction : Sœur Pascale Nau.

                      Au sujet de la justice et des autres vertus morales, prenons-les comme définies de la façon que nous avons indiquée.

                      Et puisque, en fait, nous avons dit plus haut que nous devons choisir le moyen terme, et non l’excès ou le défaut, et que le moyen terme est conforme à ce qu’énonce la droite règle analysons maintenant ce dernier point.

                      Dans toutes les dispositions morales dont nous avons parlé aussi bien que dans les autres domaines il y a un certain but sur lequel, fixant son regard, l’homme qui est en possession de la droite règle intensifie ou relâche son effort et il existe un certain principe de détermination des justes milieux, lesquelles constituent, disons-nous, un état intermédiaire entre l’excès et le défaut, du fait qu’elles sont en conformité avec la droite règle. Mais une telle façon de s’exprimer, toute vraie qu’elle soit, manque de clarté. En effet, même en tout ce qui rentre par ailleurs dans les préoccupations de la science on peut dire avec vérité assurément que nous ne devons déployer notre effort, ou le relâcher, ni trop ni trop peu, mais observer le juste milieu, et cela comme le demande la droite règle ; seulement, la simple possession de cette vérité ne peut accroître en rien notre connaissance nous ignorerions, par exemple, quelles sortes de remèdes il convient d’appliquer à notre corps si quelqu’un se contentait de nous dire : « Ce sont tous ceux que prescrit l’art médical et de la façon indiquée par l’homme de l’art. » Aussi faut-il également, en ce qui concerne les dispositions de l’âme non seulement établir la vérité de ce que nous avons dit ci-dessus, mais encore déterminer quelle est la nature de la droite règle, et son principe de détermination.

                      #146677
                      Augustin BrunaultAugustin Brunault
                      Maître des clés

                        Éthique à Nicomaque, VI, 2 : Désir et intellect.
                        Traduction : Sœur Pascale Nau.

                        Nous avons divisé les vertus de l’âme, et distingué, a d’une part les vertus du caractère, [1139a] et d’autre part celles de l’intellect Nous avons traité en détail des vertus morales ; pour les autres restantes, après quelques remarques préalables au sujet de l’âme, voici ce que nous avons à dire.

                        Antérieurement nous avons indiqué qu’il y avait deux parties de l’âme, à savoir la partie rationnelle et la partie irrationnelle Il nous faut maintenant établir, pour la partie rationnelle elle-même, une division de même nature. Prenons pour base de discussion que les parties rationnelles sont au nombre de deux, l’une par laquelle nous contemplons ces sortes d’êtres dont les principes ne peuvent être autrement qu’ils ne sont et l’autre par laquelle nous connaissons les choses contingentes : quand, en effet, les objets diffèrent par le genre les parties de l’âme adaptées naturellement à la connaissance des uns et des autres doivent aussi différer par le genre, s’il est vrai que c’est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l’objet que la connaissance repose. Appelons l’une de ces parties la partie scientifique, et l’autre la calculative − délibérer et calculer étant une seule et même chose, et on ne délibère sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont. Par conséquent, la partie calculative est seulement une partie de la partie rationnelle de l’âme. Il faut par suite bien saisir quelle est pour chacune de ces deux parties sa meilleure disposition : on aura là la vertu de chacune d’elles, et la vertu d’une chose est relative à son œuvre propre.

                        Or, il y a dans l’âme trois facteurs prédominants qui déterminent l’action et la vérité : sensation, intellect et désir. De ces facteurs, la sensation n’est principe d’aucune action comme on peut le voir par w l’exemple des bêtes, qui possèdent bien la sensation mais n’ont pas l’action en partage. Et ce que l’affirmation et la négation sont dans la pensée, la recherche et l’aversion le sont dans l’ordre du désir ; par conséquent, puisque la vertu morale est une disposition capable de choix, et que le choix est un désir délibératif, il faut par là même qu’à la fois la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu’il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que w le désir poursuit. Cette pensée et cette vérité dont nous parlons ici sont de l’ordre pratique ; quant à la pensée contemplative, qui n’est ni pratique, ni poétique, son bon et son mauvais état consiste dans le vrai et le faux auxquels son activité aboutit, puisque c’est là l’œuvre de toute partie intellective, tandis que pour la partie de l’intellect pratique, son bon état consiste dans la vérité correspondant a désir, au désir correct.

                        Le principe de l’action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d’origine du mouvement et non la fin où il tend) et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C’est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l’action n’existant pas sans pensée et sans caractère. La pensée par elle-même cependant n’imprime aucun mouvement, mais seulement la pensée dirigée vers une fin et d’ordre pratique. Cette dernière sorte de pensée commande également l’intellect poétique, [1139b] puisque dans la production l’artiste agit toujours en vue d’une fin ; la production n’est pas une fin au sens absolu, mais est quelque chose de relatif et production d’une chose déterminée. Au contraire, dans l’action, ce qu’on fait : est une fin au sens absolu, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet.

                        Aussi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme.

                        Le passé ne peut jamais être objet de choix personne ne choisit d’avoir saccagé Troie ; la délibération, en effet, porte, non sur le passé, mais sur le futur et le contingent, alors que le passé ne peut pas ne pas avoir étés. Aussi, Agathon a raison de dire :

                        Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé,

                        C’est de faire que ce qui a été fait ne l’ail pas été.


                        Ainsi les deux parties intellectuelles de l’âme ont pour tâche la vérité. C’est pourquoi les dispositions qui permettent à chacune d’elles d’atteindre le mieux la vérité constituent les vertus respectives de l’une et de l’autre.

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